Les amateurs de sport automobile savent bien que Gilles Villeneuve a commencé sa carrière sur quatre roues aux commandes d’une monoplace Magnum de Formule Ford avec laquelle il a remporté le championnat du Québec en 1973. Cette voiture fut produite par un machiniste de grand talent, Jean-Piersre St-Jacques.
La Formule Ford naît au Royaume-Uni en 1967 du désir de mettre sur pied un championnat disputé avec des monoplaces simples et relativement peu coûteuses. Plusieurs constructeurs, essentiellement britanniques, répondent vite à l’appel pour fabriquer ces petites voitures composées d’un châssis tubulaire, propulsées par le moteur Ford Kent de 1,6 litre alimenté par un carburateur, dépourvues d’ailerons et chaussées de pneus de rue rainurés.
Voici l’histoire d’un amateur de course automobile québécois qui a décidé de faire les choses autrement et de ne pas acheter son bolide. « En 1968, je travaillais comme machiniste-usineur chez Sidbec-Dosco à Contrecœur. Je voulais faire de la course automobile, mais c’était déjà très cher. Le seule façon “économique” d’en faire était de construire sa propre voiture » nous a récemment raconté Jean-Pierre St-Jacques.
« J’ai donc décidé de construire deux Formule Vee [petite monoplace propulsée par un moteur de VW Beetle] pour moi et un ami. J’ai ensuite suivi mon cours de pilotage au circuit du Mont-Tremblant au volant de ma Corvette et j’ai finalement commencé à courir en Formule Vee. En même temps, je suis devenu ami avec un gars qui s’appelait Reg Scullion. Je réparais souvent sa voiture accidentée. Fin 1969, on a décidé de monter en Formule Ford et de faire équipe. Il y avait cette monoplace américaine, une Caldwell D-9 basée sur la Merlyn Mk11A qui était pas mal du tout. J’ai décidé de tout mesurer sur ce châssis, d’en dessiner un nouveau en l’améliorant avec une nouvelle carrosserie et d’en faire ma propre voiture. Les gens du milieu de la course automobile d’ici ont entendu parler du mon projet et ça les a fait bien rire. »
Par contre, St-Jacques ne disposait pas des machines-outils requises pour usiner certaines pièces. « Je travaillais de nuit chez Sidbec-Dosco et j’en profitais pour usiner des pièces de ma Formule Ford, car je disposais de tout l’outillage requis. Entre-temps, Reg allait au Royaume-Uni et rapportait des composantes comme des étriers de freins, les colonnes de direction, pédaliers, les transmissions et autres. J’ai appelé ma voiture “Magnum”. Nous avions prévu avoir une équipe à trois voitures. J’ai donc construit trois Magnum, les MKI, II et III, durant l’hiver 1969/70 » poursuit-il.
Si ses Magnum sont robustes, elles sont d’une finition exemplaire et St-Jacques apporte une attention particulière aux détails qui peuvent faire une différence en piste. Il reprend son récit : « J’ai pris le volant de ma Magnum pour la première fois au printemps 1970 lors d’essais privés sur le circuit du Mont-Tremblant. On nous faisait rouler sur le petit circuit appelé “tic-tac-toe”. Je n’avais jamais conduit une Formule Ford auparavant. Tous les autres compétiteurs souriaient dans mon dos, mais après juste quelques tours, j’étais à seulement une demi-seconde des meilleurs temps ! Ils riaient un peu moins après ! Le monde de la course automobile canadienne était très anglophone à cette époque avec des gars comme Dave McConnell, Ian Coristine, John Powell, Brian Robertson et autres. Alors, de voir un Québécois francophone construire sa propre voiture de Formule Ford a surpris ce milieu, d’autant que je ne parlais pas un mot d’anglais ! »
Reg Scullion et Jean-Pierre St-Jacques ont donc couru en Formule Ford en 1970 et 1971 à bord de leurs Magnum. La photo ci-dessus montre Jean-Pierre St-Jacques aux commandes de la Magnum MKII lors du Grand Prix de Trois-Rivières en 1971.
« Puis, Reg est monté en Formule B [qui allait devenir la Formule Atlantique]. Voulant récupérer un peu de mon investissement, j’ai construit deux autres voitures, les MKIV et V, et j’ai commencé à vendre les autres. Si je me souviens bien, je pense que Monique Proulx en a acheté une et un gars de Laval en a acheté une autre. »
Une rencontre déterminante
« J’avais décidé de me marier et je voulais profiter d’une dernière saison en Formule Ford. Un de mes amis, Marcel Vincent, travaillait chez Skiroule et était un expert dans le réglage et la carburation des moteurs deux-temps. Leur pilote de motoneige, Gilles Villeneuve, lui avait dit qu’il avait un plan de carrière. Il voulait courir en Formule Ford, en Atlantique, puis en Formule 1. Marcel m’a donc mis en contact avec lui pour lui vendre une Magnum » raconte St-Jacques.
Par la suite, tout s’enclenche très vite. « Lors de première course de la saison 1972 à Sanair, Gilles Villeneuve est venu me rencontrer dans le paddock et voir la voiture. Il l’a bien examinée et l’a vue en action. Je lui ai dit “C’est ma dernière année de course. Si tu veux, cet automne, je te vendrai une voiture complète avec plein de pièces de rechange”. À la fin de l’été, il m’a contacté et il est venu chercher la Magnum MKIII avec la Pontiac ’62 de son père Séville et une remorque. Durant l’hiver, je suis allé quatre ou cinq fois chez lui à Berthierville lui montrer le fonctionnement de la voiture et les détails de sa fabrication. Le garage était le vieux poulailler qui était en face de la maison de Séville. Gilles voulait tout savoir à propos de la voiture. Il comprenait tout très vite. Pas besoin de lui expliquer les choses deux fois. De plus, sans formation, il était un excellent machiniste. Un gars très intelligent. Au volant de sa Magnum, il a facilement remporté le Championnat du Québec de Formule Ford en 1973. »
Le 25 janvier 1979, Lucie, l’épouse de Jean-Pierre St-Jacques, a donné naissance à Bruno qui a aussi fait de la course automobile avec succès. Bruno St-Jacques a été sacré vice-champion de Formule Ford en 1999 avant de courir en Formule Atlantique et en série Grand-Am.
« La véritable voiture de Gilles, la Magnum MKIII, est la propriété d’un ami à moi. Je travaille actuellement dessus afin de la remettre en parfaite condition. Je l’ai complètement démontée et je la remonte tout doucement. J’adore travailler sur cette voiture que j’ai créée. Ça me rajeuni de 50 ans d’un coup ! » termine Jean-Pierre St-Jacques.