Nous sommes au printemps 1980. La Formule 1 vit des moments dramatiques qui concernent directement sa survie. Le Grand Prix d’Espagne, organisé sur le circuit de Jarama près de Madrid, a bien été couru, mais il ne figure pourtant pas dans les annales de la F1 !
En 1980, cela fait deux ans que le torchon brûle entre les deux principaux dirigeants de la F1 : Bernie Ecclestone, patron de l’association des constructeurs (FOCA), et Jean-Marie Balestre, président de la FIA et de la FISA (la branche de la FIA qui gère le sport automobile). Ces deux personnages irascibles se disputent le contrôle, autant sportif que financier, de la F1.
Comme pour compliquer les choses, ces deux individus sont soutenus par leurs clans respectifs. Ecclestone a l’appui des écuries privées FOCA; essentiellement toutes les écuries britanniques qui disposent du moteur atmosphérique Ford Cosworth DFV. Quant à Balestre, il profite du soutien des quelques grands constructeurs automobiles présents en F1 (Ferrari, Renault et Alfa Romeo) qui non seulement disposent de budgets faramineux, mais imposent progressivement le très coûteux moteur turbo en F1.
Lors des premiers Grands Prix de 1980, plusieurs confrontations mettent le feu aux poudres. Suite à la grève des pilotes en Afrique du Sud et leur absence de deux réunions d’avant-course, Balestre les menace de retirer leur licence. Juste avant l’épreuve espagnole prévue le 1er juin, Balestre ordonne la suspension de 15 pilotes.
Toutefois, Ecclestone et les organisateurs de la course, qui ont investi beaucoup d’argent dans l’événement, tiennent évidemment qu’elle ait lieu. C’est ainsi qu’un club privé, RACE (Real Automóvil Club de España) devient l’organisme qui sanctionne la course et non pas la FISA. Ainsi, les pilotes n’ont plus besoin de posséder une licence FISA...
Un Grand Prix de super Formule Ford !
Les écuries FOCA ne participent pas à la première séance d’essais libres du vendredi qui est d’ailleurs stoppée au drapeau rouge. Les officiels de la FIA sont escortés hors du circuit par des policiers. Balestre est fou de rage. L’épreuve est désormais sous le contrôle de RACE. Les équipes et les pilotes des écuries FOCA se préparent à prendre la piste pour les essais de l’après-midi tandis que celles qui soutiennent la FISA rangent leur matériel. Fait unique : cette course de F1, réunissant 22 concurrents, sera réservée à des voitures à moteur Ford !
C’est ainsi que pour le reste du weekend, les voitures des équipes Ferrari, Renault, Alfa Romeo et Osella (qui soutient Ferrari) demeurent silencieuses dans les garages. Par contre, Enzo Osella trouve une façon fort ingénieuse de respecter la FISA tout en faisant rouler sa Osella A1-Ford : il l’a louée à son commanditaire titre, la marque d’après-rasage Denim, qui devient ainsi le participant officiel.
C’est Jacques Laffite qui réalise le meilleur chrono des qualifications dans sa Ligier JS11, devant Alan Jones (Williams FW07), Didier Pironi (Ligier), Carlos Reutemann (Williams), Nelson Piquet (Brabham BT49) et Alain Prost (McLaren M29). Les pilotes qui honorent la FISA - Gilles Villeneuve, Jody Scheckter, Jean-Pierre Jabouille, René Arnoux, Patrick Depailler, Bruno Giacomelli et Vittorio Brambilla – sont au chômage forcé. Ils plient bagages et quittent le circuit, fort déçus d’être exclus.
La course, prévue sur 80 tours, est disputée sous un soleil brûlant et un mercure qui avoisine les 40° C. Reutemann mène la course jusqu’au 35ème tour quand lui et Laffite s’accrochent avec un retardataire, Emilio de Villota, qui dispose d'une troisième Williams engagée par RAM Racing. Piquet hérite de la tête de la course avec Pironi et Jones à ses trousses.
Au 42ème tour, la transmission de la Brabham de Piquet casse. Pironi prend le relais, mais abandonne lui aussi quand sa Ligier perd une roue. C’est finalement Alan Jones qui remporte la victoire devant Jochen Mass sur une Arrows A3 et Elio de Angelis aux commandes d’une Lotus 81. Seulement 6 pilotes croisent la ligne d'arrivée.
Ce Grand Prix d’Espagne n’apparaît pas dans les statistiques et l’Histoire de la F1. Immédiatement après la course, la FISA a décidé qu’il ne compterait pas et qu’aucun point ne serait accordé au Championnat du monde. Si cela réjouit les écuries FISA, cela met Jones en furie, car il affirme que son métier est de piloter des F1 et qu’il a suivi les directives de son employeur tout en prenant des risques comme lors de n'importe quelle autre course.
Plus tard, la FISA répète que le Grand Prix d’Espagne fut absolument illégal et annonce que tous les pilotes et écuries qui y ont participé reçoivent une amende de 3000 francs suisse avec sursis. Face à la pression de certains directeurs d’équipes, les choses s’apaisent enfin. Les amendes imposées aux pilotes avant cette course sont payées et le petit monde de la F1 - au grand complet cette fois - participe au Grand Prix de France fin juin.