Après l’édition de 1977 entachée par le grave accident dont fut victime le pilote britannique Ian Ashley, le Grand Prix du Canada devait absolument quitter le circuit de Mosport Park en Ontario. Les écuries, les pilotes et les dirigeants de la Formule 1 ne voulaient plus rien savoir de ce rapide tracé vallonné, dangereux et en mauvais état. Mais aller où ?
Le premier projet consiste à présenter la course sur les terrains de l’Exposition nationale de Toronto. Mais après une courte réflexion, son conseil municipal annonce le 5 décembre 1977 (à peine deux mois après la tenue du GP à Mosport) son refus de tenir une telle course. La Brasserie Labatt, qui commandite le Championnat de Formule Atlantique, remporté en 1976 et 1977 par Gilles Villeneuve, prend les choses en mains, d’autant que Villeneuve fait ses débuts en F1 avec Ferrari. Le 6 décembre, la brasserie annonce qu’elle va présenter le Grand Prix du Canada 1978 à Montréal !
Don McDougall, président des Brasseries Labatt, demande ainsi l’aide de la Fédération Auto-Québec et de son président, Benoît Mailloux, pour organiser le tout. Mailloux se tourne alors vers un Britannique qui demeure à Montréal. Il s’agit de Roger Peart, 44 ans, ancien mécano et coureur automobile, ingénieur et vice-président de la firme Rumble Equipment.
Suite à des dissensions apparues en 1976 entre Labatt et le CASC (l’organisme qui gérait le sport auto au pays), Peart avait été approché pour trouver un nouveau site pour le Grand Prix. Il avait réalisé un projet de piste qui serpentait autour du stade olympique de Montréal, empruntant la rue Sherbrooke et le boulevard l’Assomption. Ce projet fut abandonné quand les discordes entre les deux parties furent réglées.
Mais un an plus tard, c’est du sérieux. Peart doit trouver un nouvel emplacement et analyse toutes les possibilités que lui offre Montréal. Il détermine huit sites possibles : le Mont-Royal, le parc Angrignon, le parc de voitures Victoria (ancien site de l’aérodrome Adaport Victoria, endroit où se trouvent actuellement les Studios Mel’s et le Technoparc de Montréal), un parc à Laval, l’aéroport de Cartierville, les terrains du complexe olympique et finalement les îles Ste-Hélène et Notre-Dame.
Les sites situés en ville sont vite exclus à cause des contestations possibles. L’aéroport de Cartierville appartient au gouvernement fédéral et on évalue que les permissions seront difficiles à obtenir. Le stade olympique est lui-aussi éliminé, car il n’y a qu’une seule entrée pour les voitures et pas de sortie. La Ville de Montréal dit non pour l’île Ste-Hélène, mais précise que l’île Notre-Dame est désormais réservée aux activités sportives.
Dessiner un circuit de F1 sur une île étroite
Peart décide que le circuit sera construit sur l’île Notre-Dame, bien desservie par une station de métro. Il inspecte les lieux en novembre 1977, mais une tempête a laissé 30 centimètres de neige au sol ! Impossible de constater ce qu’il y a en dessous. Il reste encore plusieurs vieux pavillons de l’Expo 67 à être démolis dans les années à venir et Peart doit en tenir compte.
Les embûches sont nombreuses, comme la présence du grand lac des régates au centre de l’île qu’il faut contourner, l’impossibilité de toucher au bassin olympique, éviter les nombreux canaux, chemins et sentiers qui parcourent l’île tout en traçant une piste asphaltée d’une largeur minimale de 10 mètres, loger une ligne des puits et installer des gradins pour les spectateurs.
Peart réalise une trentaine de plans du circuit, modifiés selon les exigences de la Ville de Montréal et des patrons de la F1 qui se préoccupent de la sécurité. Par exemple, Peart doit ajouter une courte ligne droite avant l’épingle du pont Jacques-Cartier afin de faire freiner les voitures en ligne droite. Toute la piste de 4,361 km sera ceinturée d’un mur de béton de 30 centimètres de hauteur ainsi que par deux rangées de rails de sécurité et des hauts grillages.
Le 25 avril 1978, le maire Jean Drapeau confirme l’appui du comité exécutif de la Ville de Montréal pour la tenue du Grand Prix du Canada “sur le site de Terre des Hommes durant cinq années consécutives, de 1978 à 1982”.
Un mois plus tard, Peart se rend en Europe pour présenter son plan du circuit aux autorités de la F1 réunies à Monaco. Basil Tye, le représentant de la FIA, approuve le dessin final du circuit. Le 15 juin, la Brasserie Labatt confirme que le Grand Prix sera présenté à Montréal le 8 octobre 1978. Peart ne dispose que de quelques mois pour faire construire la piste... Son budget : deux millions de dollars.
Afin de réduire les coûts et accélérer les choses, il est décidé que les monoplaces de F1 seront remisées dans les entrepôts d’avirons durant le week-end du Grand Prix. De plus, il n’y aura pas de garages dans les puits, juste des roulottes de chantiers dont le plancher sera recouvert d’un horrible prélart.
Les travaux commencent le 28 juin 1978. Ils sont terminés le 5 septembre, à temps pour la tenue d’une épreuve de rodage, le Grand Prix Labatt de Montréal, tenu les 22, 23 et 24 septembre devant 15 000 spectateurs et présentant des courses de Formule Atlantique, de la série Honda/BF Goodrich, de Formule Ford 1600 et du Championnat du Québec de Production (avec 59 inscrits !).
Le premier Grand Prix du Canada à Montréal fut présenté le 8 octobre et fut remporté par Gilles Villeneuve aux commandes de sa Ferrari 312 T3. Je me souviens que certains avaient alors affirmé que Peart avait délibérément conçu un circuit parsemé de chicanes et de deux virages en épingle afin de favoriser le moteur 12 cylindres Ferrari, plus souple et plus puissant que le Ford Cosworth DFV V8 utilisé par la plupart des autres écuries. Considérant les multiples difficultés qu’il avait dû surmonter, Peart a dû bien rire de cette accusation !
Les deux photos qui illustrent cet article montrent le circuit Gilles-Villeneuve tel qu’il était à l’automne 1978.