Il fut un temps, au début des années 80, où la série IndyCar, appelée alors CART (Championship Auto Racing Teams) tentait de faire ombrage à la Formule 1. La hausse inquiétante des coûts requis pour faire fonctionner une écurie de F1 a incité des équipes et des pilotes à tenter leur chance en sol américain.
C’est ainsi que Guy Ligier se laissa lui-aussi tenté. Guy Ligier était un ancien joueur de rugby, un ex-pilote de F1 et d’endurance, et le grand patron de l’écurie de F1 qui portait son nom. Durant plusieurs années, il a représenté la France en F1. Mais depuis 1982, les monoplaces Ligier occupent plutôt l’arrière des grilles de départ. La voiture de 1983, la JS21 à moteur Ford-Cosworth, n’est pas un succès et ne marque aucun point au Championnat du monde.
C’est au courant de cette saison 1983 que Ligier reçoit un appel de l’Américain Mike Curb. Ce millionnaire est un artiste, compositeur, premier producteur de musique country, homme d’affaires et politicien du parti républicain. Il s’intéresse aussi beaucoup à la course automobile, surtout au NASCAR et maintenant à la série CART.
Curb demande à Ligier s’il peut lui fournir deux monoplaces destinées à la série CART, car il n’est pas vraiment intéressé à acheter des Lola ou des March comme le font à peu près toutes les autres équipes. Un accord est conclu en octobre 1983 et le travail de conception débute en novembre. Cela ne donne que cinq mois pour que l’équipe technique, dirigée par Jean-Claude Guénard et Michel Beaujon, pour effectuer le travail.
Pas facile de transformer une F1 en IndyCar...
L’équipe démarre donc d’une JS21 de F1, mais il faut effectuer plusieurs changements, notamment au niveau des couples de la coque en aluminium. La production des châssis est confiée à John Fischer au Royaume-Uni. Puis, la nouvelle équipe Ligier-Curb, basée à Abrest dans l’Allier, achète cinq moteurs Ford-Cosworth DFX turbo de 2,6 litres, modifie des carters de boîtes de vitesses Hewland DGB et loge une outre de carburant d’une capacité de 40 gallons US, soit 152 litres comme l’exige le règlement, dans la coque.
Si les deux LC02 prévues sont assemblées en France, l’exploitation et le développement des bolides seront effectués par AAR, All American Racers de Dan Gurney à Santa Ana en Californie. Le financement est assuré par Curb Records ainsi que par l’importateur américain des boissons Dubonnet. Le directeur sportif de Ligier, Dany Hindenoch, supervise l’association Curb-Ligier ainsi que le programme de la LC02.
Côté pilote, Guy Ligier aurait bien aimé engager Derek Daly, un ancien pilote de F1 qui posséde une expérience des courses IndyCar. Toutefois, Curb impose son choix, l’Américain Kevin Cogan, un ancien pilote de Formule Atlantique qu’on a vu tenter de se qualifier en F1 à deux reprises en 1980. La structure incorpore aussi un certain Mike Chandler qui, avant de toucher sa propre Ligier LC02, pilotera une Eagle 84 à moteur Pontiac de l’équipe AAR. Michael Chandler est le fils d’Otis Chandler, l'éditeur du Los Angeles Times.
La première épreuve de l’écurie Ligier-Curb est celle de Long Beach en Californie début avril. La première LC02 est achevée le lundi avant de prendre l’avion pour arriver au circuit jeudi, la veille des premiers essais. La voiture n’a donc jamais roulé. En piste, Cogan découvre vite une monoplace peu agile et trop lourde. Durant les qualifications, un arbre de transmission casse et Cogan se qualifie au 21ème rang sur 28. Mario Andretti place sa Lola T800 en pole position avec un temps de 1’06”263 tandis que Cogan n’a pu faire mieux que 1’09”912... La course de Cogan ne dure que trois tours. Sur ce circuit urbain bosselé, un arbre de transmission brise net, encore une fois.
La course suivante se déroule sur le petit ovale d’un mille de Phoenix. Après avoir effectué quelques tours, Cogan s’extirpe de la LC02 et saute dans l’Eagle de Chandler. La Ligier souffre d’un énorme survirage. Dans chaque courbe, le train arrière se dérobe brusquement. Le pauvre Mike Chandler hérite de la Ligier, et ne se qualifie pas. Aux commandes de l’Eagle, Cogan termine la course au huitième rang.
Puis, viennent les essais des 500 milles d’Indianapolis. La Ligier est toujours aussi diabolique à piloter. Encore plus qu’à Phoenix, car les hautes vitesses atteintes sur le Brickyard ne font qu’amplifier ses ennuis de tenue de route. Après quatre jours d’essais et incapable de dépasser la barre des 184 milles/heure, Cogan délaisse la Ligier et saute dans l’Eagle. Pour de bon.
Mike Curb et Guy Ligier se rendent à l’évidence : la LC02 n’est pas efficace, imprévisible, dangereuse et lente, que ce soit sur un circuit urbain, un petit ovale ou un superspeedway. L’entente est rompue et la seule et unique Ligier LC02, qui n’a plus jamais roulé, se trouve actuellement exposée dans le musée Curb à Kannapolis, en Caroline du Nord.
* Désolé pour la piètre qualité de la photo ci-dessus. La Ligier LC02 a si peu roulé en piste qu'il existe très peu de photos de cette voiture en action...