Le Grand Prix d’Espagne de 1975 possédait tous les ingrédients nécessaires pouvant mener à une catastrophe : un circuit non sécuritaire, une révolte des pilotes, un bris mécanique majeur et des spectateurs et officiels situés trop près de l’action.
Ce Grand Prix est organisé les 25, 26 et 27 avril 1975 sur le circuit urbain de Montjuïc Park situé dans un parc d'attractions de la ville de Barcelone. Dès leur arrivée au circuit, les pilotes notent que les rails de sécurité sont mal fixés, ou pas fixés du tout. Il manque des boulons, des écrous, des rondelles, et quand il y en a, il est facile de les dévisser à la main !
L’association des pilotes, le GPDA, exige que des travaux soient immédiatement effectués. Emerson Fittipaldi, deux fois Champion du monde, mène la contestation et interdit aux autres pilotes de rouler tant que les rails n’auront pas été correctement boulonnés. Seul Jacky Ickx, qui ne fait pas partie du GPDA, roule en essais libres aux commandes de sa Lotus-Ford 72E.
Les travaux prennent du temps. Samedi matin, il reste encore beaucoup de boulot à effectuer et les mécanos des écuries de F1 viennent prêter main forte aux travailleurs locaux. Au moment des qualifications, les pilotes ne sont toujours pas satisfaits du travail réalisé et refusent de rouler. Les organisateurs menacent d’attaquer les pilotes en justice et de faire saisir les voitures par la police. Les directeurs d’écuries craquent et ordonnent à leurs pilotes de disputer la séance de qualification.
Dimanche matin, Fittipaldi, écœuré de constater que rien n’a été amélioré sur le circuit, quitte Barcelone. Dès le premier tour de course complété, deux pilotes, Wilson Fittipaldi et Arturo Merzario, rentrent aux puits et quittent leurs voitures. Au fil des tours, les accidents se succèdent. Les bosses du tracé mettent les suspensions et les transmissions à très rude épreuve.
Un bris l’aileron catastrophique
Mario Andretti mène la course, mais une rupture de suspension expédie sa Parnelli-Ford VPJ4 contre le rail. L’Allemand Rolf Stommelen hérite de la commande au volant de sa Hill-Ford GH1 No. 22 (photo ci-dessus).
Au 26e passage, l’aileron arrière de sa monoplace se détache à pleine vitesse. Privée d’appuis, l’obus de plus de 600 kilos décolle sur une bosse, percute un rail, rebondit de l’autre côté de la piste et s’envole par-dessus le rail en faisant voler des débris dans toutes les directions.
Quelques rares drapeaux jaunes sont agités, mais la course n’est pas arrêtée. La confusion règne et les services d’intervention ont du mal à se rendre sur place. Des sauveteurs sautent sur la piste, frôlés par les bolides qui ne ralentissent vraiment. Dans le chaos total, Ickx double la McLaren-Ford M23 de Jochen Mass sous les jaunes. Mais l’Allemand reprendra sa place de meneur quelques instants plus tard quand Ickx ne trouve pas le bon rapport au passage de l’épingle.
Le drapeau à damier est agité au 29e tour et Mass est déclaré le vainqueur. Il s’agira de la seule victoire de Mass en F1. Puisque moins de 75% des tours ont été couverts, les pilotes n'inscrivent que la moitié des points. Ickx termine second devant la Brabham-Ford BT44B de Carlos Reutemann. L’Italienne Lella Lombardi, sur une March-Ford 751, se classe sixième et marque un demi-point.
Les secours s’affairent toujours en bordure de piste. Un photographe italien, un pompier espagnol et deux spectateurs ont été mortellement blessés par des débris. Une dizaine d’autres spectateurs ont été blessés et l'un d'entre eux va décéder plus tard à l'hôpital. Quant à Stommelen, il est en vie, mais souffre d’une jambe et des côtes cassées et d’un bras fracturé.
Malheureuse ironie du sort, le pauvre Stommelen va se tuer le 24 avril 1983 lors d’une course IMSA sur le tracé de Riverside en Californie quand sa Porsche 935 turbo perd son capot moteur et son aileron arrière à plus de 300 km/h, ne laissant aucune chance de survie à l’Allemand de 39 ans...