La dernière grande création de Colin Chapman a sans contredit été la fameuse Lotus 88 à double châssis qui fut interdite de compétition par la FIA.
En vérité, ce n’est pas réellement la voiture en elle-même qui a été bannie, mais plutôt l’esprit inventif de Colin Chapman, jugé un peu trop rusé par les autres patrons d’écuries de Formule 1.
Nous sommes au début des années 80. Le monde de la F1 est fortement secoué par de graves conflits qui menacent son existence. Il règne d’abord une importante guerre d’influence pour le contrôle de la F1 mettant aux prises Bernie Ecclestone (les constructeurs de Formule 1) et Jean-Marie Balestre (le président de la FIA). Ajoutez à cela un conflit opposant les écuries britanniques (utilisatrices de moteurs Cosworth atmosphériques) aux grands constructeurs (les moteurs turbo), des soupçons de corruption impliquant des décideurs qui désirent obtenir des postes prestigieux et enfin une lassitude de voir Colin Chapman constamment innover la technologie en F1.
La première voiture de F1 à double châssis, la Lotus 86, nait courant 1980. Une voiture à effet de sol munie de jupes était jusqu’alors extrêmement inconfortable à piloter à cause de ses ressorts hyper durs. Chapman, Peter Wright et Martin Ogilvie eurent l’idée géniale d’empêcher les pontons de bouger et de les sceller au sol tout en permettant au pilote d’être assis dans un châssis indépendant et mollement suspendu.
Ainsi est développée la Lotus 86 dotée de deux châssis distincts : un pour la mécanique (châssis secondaire) et l’autre pour les éléments aérodynamiques (châssis primaire). Le principe est le suivant : lorsque la voiture gagne de la vitesse, le châssis primaire s’abaisse et scelle les pontons, générant un effet de sol maximal. Le pilote, assis dans l’autre structure, n’est plus secoué dans tous les sens.
La FIA change soudainement le règlement technique
La FIA a vent de cette grande nouveauté et, prise de panique, décide de changer le règlement technique juste avant le début de la saison 1981. Ainsi, les jupes latérales coulissantes sont interdites, et le bas des pontons doit se situer en tout temps à au moins six centimètres du sol. Ceci dans le but évident de contrer le puissant effet de sol de la Lotus 86. Mais comment vérifier si une voiture roule bien à six centimètres du sol quand elle est en piste ?
Les ingénieurs de Lotus travaillent alors à rendre la voiture conforme à la nouvelle règlementation. Avec ses jupes fixes, la Lotus 88 respectera la fameuse règle des six centimètres à l’arrêt dans les puits, mais elle s’écrasera au sol dès qu’elle roulera en piste. Dans l’esprit de Chapman, la 88 est parfaitement légale.
Une Lotus 88, inscrite pour Elio de Angelis, apparaît au Grand Prix des Long Beach 1981. Dès son inspection technique, la presque totalité des autres équipes exigent son exclusion. Si les commissaires techniques la jugent conforme, la réclamation est acceptée par les commissaires sportifs. En réalité, Ecclestone et Balestre ont mis tout leur poids pour faire céder les commissaires sportifs. La 88 ne roule pas, et le Team Lotus doit se rabattre sur les 81B.
Lors des deux Grands Prix suivants, au Brésil et en Argentine, la même chose se produit et la Lotus 88 est interdite de roulage.
Entre temps, Ecclestone introduit ses Brabham munies de suspensions à correcteur d’assiette pneumatique. Cette solution peu sophistiquée permet aux pilotes Brabham d’actionner une valve située dans le cockpit et qui fait descendre la voiture pour qu’elle racle le sol. Avant de revenir dans les puis, les pilotes touchent à nouveau cette valve et la voiture remonte et passe avec succès le test des six centimètres. Contre toute attente, cette solution technique est acceptée par la FIA, ce qui met Chapman dans une colère noire.
Chapman engage un avocat réputé, Bob Hinerfeld, qui est célèbre pour avoir défendu Richard Nixon. Durant la réunion du tribunal d’appel de la FIA, Hinerfeld tente de démontrer, avec croquis et explications techniques, que la 88 est conforme. Toutefois, le 23 avril, la FIA fait valoir que le règlement stipule que carrosserie et châssis ne doivent faire qu’un et interdit la Lotus révolutionnaire de rouler.
Par contre, Chapman n’en démord pas. Il fait modifier la 88 en une 88B afin qu’elle réponde en tout point à la règlementation. En jouant sur les mots, la 88B ne possède plus “deux châssis”, mais “deux structures suspendues”. Puis, il transmet le dossier technique à la plus haute autorité légale au Royaume-Uni qui déclare la 88B conforme. Chapman inscrit deux 88B pour le Grand Prix de Grande-Bretagne à Silverstone.
Le RAC (Royal Automobile Club) publie communiqué qui indique que les Lotus 88B sont autorisées à courir. Jeudi, de Angelis et Nigel Mansell participent à des essais libres à bord de leurs 88B. Toutefois, en soirée, la FIA met une pression énorme sur le RAC qui, finalement, fait volte-face. Ses commissaires sportifs changent soudainement d’avis et se rangent du côté de la FIA. La Lotus 88B est interdite de compétition, et cette fois pour de bon. Épuisé, Chapman abdique.