Une voiture qui roule sur un circuit routier doit accélérer, freiner et négocier des virages. Et puisque rien n’est parfait, à peu près n’importe quel véhicule qui tourne pour négocier un virage génère ce qu’on appelle du sous-virage.
Les pneus avant, ceux qui assurent la direction du véhicule, ont un niveau d’adhérence limité. Si on braque trop les roues pour prendre un virage rapide, la semelle du pneu n’adhère plus, glisse et fait déraper le train avant. C’est du sous-virage; un gros problème en course automobile, car il oblige à négocier les courbes plus lentement qu’il ne le faut.
Il existe deux façons de faire tourner un véhicule : braquer le volant qui fait pivoter les roues avant, ou ralentir la ou les roues intérieures. C’est cette seconde solution qui sert à faire tourner un tank ou un bulldozer. Il faut accélérer la chenille extérieure et ralentir la chenille intérieure.
Agir sur les roues arrière d’un véhicule pour l’aider à tourner et prendre des virages n’est pas nouveau. Certaines voitures de série, comme la Honda Legend et la Mitsubishi 3000 GTO, ont été munies d’un mécanisme à quatre roues directrices, c’est-à-dire d’un dispositif permettant aux quatre roues d’être braquées dans les virages afin de faciliter la manœuvre. Si les roues avant tournent vers la droite, les roues arrière font l’inverse et tournent vers la gauche, ce qui fait pivoter le véhicule. Ce dispositif a aussi été employé sur les voitures de courses sur glace du Trophée Andros.
En 1993, l’écurie de Formule 1 Benetton a développé une version “C” de sa B193 à moteur atmosphérique V8 Ford HB. Dans le but de rendre cette monoplace plus agile sur les circuits lents, les ingénieurs l’avaient doté d’un mécanisme à quatre roues directrices. Le train arrière de cette monoplace était muni d’une crémaillère hydraulique qui faisait pivoter les roues arrière selon les informations reçues de plusieurs capteurs électroniques. Considérant qu’il s’agissait d’un aide au pilotage, la FIA a vite interdit tout dispositif permettant de modifier la géométrie de la suspension arrière.
Un freinage fort astucieux
Entrent en scène les ingénieurs de l’écurie McLaren, dont Adrian Newey, Steve Nichols et Paddy Lowe. C’est Nichols qui eut le premier l’idée d’un freinage arrière différentiel ou d’un freinage directionnel où une utilisation des freins permettait de générer un mouvement de lacet (pivotement de la voiture dans la direction du virage).
La McLaren MP4/12 à moteur atmosphérique V10 Ilmor (Mercedes-Benz) de 1997 est ainsi munie d’un second circuit de freinage et d’une mystérieuse pédale additionnelle. « Nous n’avons eu qu’à ajouter un maître-cylindre supplémentaire dans la voiture et le connecter à l’étrier arrière gauche » raconte Nichols. « Quand le pilote arrivait dans un virage à gauche, il appuyait sur la pédale de freins normale, ce qui activait les quatre freins à disques, avant et arrière. À partir du point de corde, la voiture avait naturellement tendance à sous-virer. Pour contrer ce phénomène, le pilote appuyait alors sur une pédale additionnelle de son pied gauche qui n’actionnait que le frein arrière gauche. Nous avons ajusté le tout à ce que le pilote doive appuyer assez fort sur cette pédale pour obtenir un effet de ralentissement. Si cette pédale avait été trop sensible, le freinage violent aurait expédié la voiture en tête-à-queue ».
Au début de la saison 1997, cette innovation technologique ne permettait un freinage que d’un seul côté de la monoplace. C’était déterminé par les ingénieurs, selon le nombre de virages à affronter sur le tracé. S’il y avait plus de virages à droite, ils installaient un circuit de freinage additionnel agissant sur le frein arrière droit, et vice-versa si la majorité des courbes étaient à gauche.
Mika Häkkinen utilisait une palette d’embrayage à son volant. Sa voiture ne possédait donc que de trois pédales : accélérateur, frein normal et frein directionnel. Son coéquipier, David Coulthard, était un pilote plus traditionnel et utilisait encore l’embrayage à pied. Son pédalier, déjà fort étriqué, logeait donc quatre pédales !
Les ingénieurs avaient aussi consacré du temps à s’assurer que leur mécanisme respectait la réglementation technique à la lettre. La suspension arrière de la MP4/12 demeurant parfaitement immobile dans les virages prouvait sa conformité.
Par la suite, les techniciens ont affiné le système en y ajoutant un autre maître-cylindre et un peu de plomberie. Cette fois, la McLaren possédait deux nouveaux circuits de freinage directionnel. Un commutateur à bascule, situé sur le volant, permettait au pilote de sélectionner le frein arrière à activer selon s’il s’agissait d’un virage à droite ou à gauche. De plus, ce dispositif aidait aussi à réduire le patinage des roues arrière en sortie de virage et abaissait les temps au tour d’environ une demi-seconde.
Par contre, Newey était inquiet de voir les freins arrière surchauffer en cas d’abus. Économiser les freins ne faisait pas partie du vocabulaire de Häkkinen... L’écurie devait donc passer un message codé durant la course afin de le prévenir de ne pas abuser du freinage directionnel.
L’utilisation de ce freinage spécial fut découvert par le photographe britannique Darren Heath qui fut grandement étonné de constater sur ses photos que les disques arrière des McLaren étaient oranges de chaleur alors que la voiture était en pleine accélération (voir le frein arrière sur la photo ci-dessus). Heath est demeuré aux aguets et a pu prendre des photos de l’intérieur du cockpit de la McLaren de Häkkinen, laissée sans surveillance après l’abandon en piste du Finlandais au Grand Prix du Luxembourg. Une pédale supplémentaire : le chat sortait enfin du sac.
Ferrari n’a pas vraiment apprécié le dispositif de freinage de McLaren. Incapable de faire fonctionner correctement son propre système, la Scuderia a alors fait pression sur la FIA pour le voir interdire. Il fut banni dès le Grand Prix du Brésil, deuxième épreuve de la saison 1998. Il n’est jamais réapparu en F1.