Rouler le plus vite possible sur l’ovale d’Indianapolis a fasciné les ingénieurs et pseudo-génies qui n’ont pas hésité à concevoir des bolides aux formes assez surprenantes et parfois choquantes.
On a vu rouler sur le Brickyard des voitures à six roues, d’autres au design désaxé (car la voiture ne tourne qu’à gauche), des bolides avec le pilote assis comme dans un side-car et même propulsés par une turbine d’hélicoptère.
Voyons ici le cas de l’Eagle Aircraft Flyer Special. Tout commence avec Dean Wilson, un ingénieur diplômé en aéronautique qui a fondé sa société en 1977, l’Eagle Aircraft Company, à Boise dans l’Idaho. Wilson a ensuite conçu et commercialisé l’Eagle DW.1, un avion biplan destiné à vaporiser des engrais et des pesticides sur les champs de cultures.
C’est justement à cette époque que Colin Chapman est parvenu à exploiter efficacement l’effet de sol sur une monoplace de Formule 1, la Lotus 78. La voiture suivante, la Lotus 79 s’est montrée encore plus performante et certains ingénieurs américains ont vite songé à appliquer ce principe de succion qui fait “coller” la voiture à la piste à un bolide destiné à rouler sur le superspeedway d’Indianapolis.
Un millionnaire américain, Joe Turling, propriétaire de plusieurs concessions de tracteurs Caterpillar et passionné de course automobile, a contacté Wilson en 1982 afin de lui faire dessiner une voiture à effet de sol révolutionnaire pour disputer, et bien sûr gagner, les 500 Milles d’Indianapolis.
Un design (complètement) raté
Si Wilson connaît bien les avions, il ne possède aucune connaissance en sport automobile. Il commence son travail, mais, mystérieusement, il ne dessine pas une voiture munie de larges pontons à tunnels venturi comme les Lotus. Au contraire, il conçoit un châssis étroit, muni d’étranges sabots aux roues et d’une grosse prise d’air du moteur très peu aérodynamique... La bête possède un empattement horriblement long et ses radiateurs sont logés dans l’aileron avant. Le cockpit est en position très avancée et le pédalier n’est situé qu’à six pouces, soit 15 cm, du bout du nez de la voiture !
Au lieu de réaliser une monocoque en nid d’abeille d’aluminium comme tous les constructeurs à cette époque, Wilson effectue un retour en arrière avec un châssis en tubes chromoly, une carrosserie en feuilles d’aluminium et même du balsa et du contre-plaqué pour fabriquer les dérives de l’aileron arrière ! Il ne restait qu’à y boulonner un moteur stock-block Chevrolet de 5,8 litres capable de produire 730 chevaux.
Le volant de l’Eagle est confié à Kenny Hamilton, un pilote habitué aux courses de Midgets sur les ovales de terre battue américains. Obligé de repasser son test de recrue malgré son expérience à Indy, Hamilton, apeuré aux commandes de l’Eagle, ne parvient pas à franchir la barre de 175 milles à l’heure. Comme plusieurs l’ont prévu, la voiture ne tient pas la route et ne génère aucun effet de sol.
Lors de sa première vraie sortie en piste, Hamilton perd le contrôle de l’Eagle dans le premier virage. Après avoir effectué plusieurs tête-à-queue, la voiture s’arrête net en n’ayant, par miracle, rien percuté. La voiture est une catastrophe. Wilson, qui n’a aucune expérience en sport automobile, décide alors de changer les réglages des suspensions sans prévenir Hamilton.
Quand ce dernier reprend la piste, il est mortifié par la tenue de route encore plus fluctuante de l’Eagle. Après avoir effectué un tour de piste à 182 m/h, Hamilton perd encore une fois le contrôle du bolide en virage qui, miraculeusement, ne percute rien malgré ses nombreuses pirouettes.
Cette fois, Hamilton annonce à Wilson et Turling qu’il quitte le navire. Jamais il ne veut remonter à son bord, car avec ses pieds si près du mur de béton, il risque fort de se blesser sérieusement, ou même de se tuer, en cas d’une perte de contrôle. Turling est déçu et Wilson, insulté. Les deux quittent le circuit et laissent Hamilton seul avec la bête qu’il finit par ramener chez lui. Dépité, il vend le moteur afin de récupérer un peu d’argent.
Le châssis fut ensuite vendu à Ron Hemelgarn qui possédait alors une écurie d’IndyCar. Elle ne reprit jamais la piste. L’Eagle fut restaurée en 2001 par Hemelgarn, mais lorsque cette équipe a fermé ses portes, la voiture disparut et ne fut jamais retrouvée.