Outre les nouveautés en Formule 1, notamment au niveau de la motorisation (voir la première partie de cet article en cliquant ici), la saison 1967 a marqué le sport automobile. Deux événements sont tout spécialement à retenir : les 24 Heures du Mans et le premier Grand Prix du Canada comptant pour le championnat du monde de Formule 1, à Mosport…
Dix journées magiques pour AJ Foyt et Dan Gurney
Le débarquement de Ford aux 24 Heures du Mans atteint son paroxysme en 1967 avec une flotte de cinq Ford officielles pour les équipages Dan Gurney / AJ Foyt, Mario Andretti / Lucien Bianchi, Denny Hulme / Lloyd Ruby, Bruce McLaren / Mark Donohue et Ronnie Bucknum / Paul Hawkins. Après avoir mené la course pendant plus de 23 heures, les deux grands (littéralement) pilotes américains remportent la course avec quatre tours d’avance.
Cette épreuve est d’autant plus mémorable que Dan Gurney arrose tout le monde avec du champagne sur le podium, une première en Endurance qui dure encore aujourd’hui, sauf lorsque des contraintes religieuses n'empêchent cette désormais tradition.
La Ford gagnante au Mans cette année-là (photo ci-dessus) était modifiée avec une bosse sur le toit pour laisser de la place pour la tête du très grand Dan Gurney, qui avoua avoir attaché ses ceintures de sécurité à 300 km/h sur la longue ligne droite (6 km !) des Hunaudières. Cela s’explique aisément : les officiels veulent préserver l’image du vieux départ Le Mans, si spectaculaire mais très dangereux avec des pilotes qui traversent la piste en courant pour prendre les commandes de voitures garées en épi. Il n’est alors pas rare que six voitures s’engouffrent dans le premier virage côte à côte et la majorité des pilotes n’ont pas bouclé leurs harnais de sécurité. De nombreux accidents, parfois mortels, sont survenus lorsque des pilotes tentaient de s’attacher dans les premiers tours tout en évoluant à plus de 250 km/h. Les officiels cèderont finalement à la pression générale et obligeront les concurrents, attachés dans leur voiture, à effectuer un départ lancé à compter de 1970, comme dans les courses NASCAR et au Indy 500.
La dizaine de journées magiques de la saison 1967 va se poursuivre pour les deux vainqueurs du mans, Gurney remportant en F1 le Grand Prix de Belgique tenu à Spa-Francorchamps, au volant d'une Eagle de sa conception et motorisée pour la première fois par le magnifique V12 développé par Weslake, les réputés spécialistes anglais.
Pour sa part, AJ Foyt est au Québec le week-end suivant pour une course de type Indycar au Circuit Mont-Tremblant. La vie est plus simple pour les équipes à cette époque, alors que Goodyear et Firestone amènent à la piste roues, pneus, moteurs et pièces pour "leurs" équipes. Foyt a sa voiture de course sur une remorque ouverte avec une Ford familiale toute blanche pour seul véhicule d’équipe, dans lequel s’entassent les mécanos !
Arrêté avant Saint-Jovite sur la 17 pour un hamburger, le pilote américain est approché par un amateur qui admire la voiture de course, ce qui donne lieu à l’échange suivant : Es-tu le pilote ? Oui ! Quel est ton nom ? AJ Foyt ! Ah oui, alors moi je suis la reine d’Angleterre ! Foyt en riait encore rendu à la piste et en parla à un journaliste américain qui lança la légende.
Le dimanche, AJ Foyt attend le départ bien aligné sur la piste devant les puits et bien attaché dans sa Coyote-Ford. Un groupe de fêtards commence alors à scander « One - Two - Three - Foyt ! » Ils le font si bien et si fort que Foyt les entend et saute de sa voiture, cours jusqu’à la clôture en face des puits, serre la main de tout le monde et retourne dans sa voiture avant que les officiels ne fassent tous une crise d’apoplexie ! 1967, c’était vraiment une autre époque…
D’autres pilotes brillent au fil de la saison
Au Nürburgring pour le Grand Prix d’Allemagne, les organisateurs invitent quelques F2 pour faire grossir le peloton des F1 sur le long circuit de la Norschleife et ses 22 km. Un jeune homme, très prometteur, du nom de Jacky Ickx se fait particulièrement remarquer lors des qualifs : il réalise le meilleur chrono des F2 avec sa Tyrrell Matra avec… 21 secondes devant la deuxième F2 ! Ickx est si à l’aise qu’il évolue au cinquième rang, au milieu des F1, en début de course, avant que sa mécanique ne lâche. Son talent saute aux yeux et il sera pilote titulaire en F1, d'abord chez Cooper (photo ci-dessous) en fin de saison 1967 puis chez Ferrari dès l'année suivante.
Par la suite, Jacky Ickx alterna les bonnes et les moins bonnes saisons en Formule 1, jusqu'en 1979, choisissant parfois des équipes de milieu voire de fond de grille mais qui lui donnaient la liberté de poursuivre une carrière très fructueuse en Endurance (6 victoires aux 24 Heures du Mans). En F1, ses passages chez Ferrari et Lotus auraient tout de même pû se solder par un titre mondial. En vain...
Parlant de pilotes au talent hors du commun, et sans vouloir relancer le débat du meilleur pilote de course au monde, notons que Jim Clark participe en 1967 à 34 courses (F1, F2, série Tasman, IndyCar et NASCAR). L’Écossais en remporte 12 (35%), dont quatre des 11 Grands Prix (sur six participations). Sa Lotus 49 – Ford est la voiture la plus rapide en piste, mais la fragilité légendaire des Lotus et du tout nouveau moteur le prive d'un titre que sa domination méritait.
Le premier Grand Prix du Canada de l’ère moderne
Le cirque de la F1 se retrouve en fin de saison 1967 sur le superbe, mais périlleux aux yeux de beaucoup, tracé de Mosport pour le premier Grand Prix du Canada comptant pour le Championnat du monde.
Les pilotes habituels sont tous sur place, avec l’addition des Canadiens Al Pease sur une Eagle-Climax périmée, louée de Dan Gurney, et Eppie Wietzes à bord d’une Lotus 49 - Ford. Les deux pilotes ne terminent pas la course à bord de leurs "bazous" mal préparés par des équipes intéressées seulement par l’argent.
Jack Brabham domine la course, en route vers ce qui sera la dernière victoire d’un châssis Brabham Tauranac multitubulaire, devant Denny Hulme sur une machine identique. Ce dernier remporte ainsi le titre de champion du monde. Dan Gurney termine troisième. C’est son dernier podium en Grand Prix et la dernière course de ses magnifiques Eagle en F1. 1967 marquait à bien des points de vue un tournant dans l’histoire de la F1…
L’année suivante, le cirque de la F1 se transporta au Circuit Mont-Tremblant, où Jacky Ickx se brisa une jambe durant les essais. Denny Hulme, désormais sur McLaren Ford, gagna avec un tour d’avance sur Bruce McLaren (sur la même machine), alors que seulement 6 pilotes roulaient encore en fin de course. Le Circuit Mont-Tremblant accueillit encore la F1 en 1970 et Ickx eut sa revanche sur le sort en remportant la course. Une nouvelle décennie de sport automobile s’ouvrait. Mais ça, c’est une autre histoire…