Anthony Colin Bruce Chapman (ACBC, le logo de Lotus), grand patron de Lotus Cars et du Team Lotus, est décédé subitement d’un arrêt cardiaque durant la nuit du 16 décembre 1982, le jour même où la Lotus 92, première monoplace de Formule 1 à être munie d’une suspension active, avait effectué ses premiers tours de roue.
Colin Chapman a été sans contredit l’un des ingénieurs les plus prolifiques de la F1 et du sport automobile en général. Il a été un pionnier dans plusieurs domaines. C’est lui qui a, entre autres, conçu le premier châssis monocoque pour une voiture de course, a introduit la commandite sur les F1, a conçu les pontons à effet de sol, les suspensions à barres de torsion, la F1 à double châssis et imaginé une suspension active.
Sous sa direction, le Team Lotus a remporté, entre 1962 et 1978, sept titres des constructeurs en F1, six titres des pilotes ainsi qu’une victoire aux 500 Milles d’Indianapolis.
Rien ne disposait Colin Chapman à s’intéresser au sport automobile. Né en 1928 d’un couple qui tenait le Railway Hotel en banlieue de Londres, Chapman était un enfant curieux qui effectue des études d’ingénieur. C’est à ce moment qu’avec l’aide d’un ami, il achète des voitures en mauvais état, les retape et les revend.
Une fois son diplôme en poche, il effectue un passage dans la Royal Air Force et apprend à piloter avions et hélicoptères, mais la vie militaire ne lui plaît pas. De retour au sol, il devient ingénieur à la British Aluminium. En 1948, son petit commerce de voitures usagées se retrouve coincé avec une vieille Austin Seven invendable. Il en modifie la carrosserie et en fait une voiture de trial qu’il pilote lui-même. Chapman met alors le doigt dans l’engrenage du sport automobile.
Il crée ensuite une voiture de circuit, la MKIII, légère et rapide. Avec le soutien de sa jeune épouse Hazel, il fonde Lotus Engineering où son expérience des structures avioniques et de l’utilisation de matériaux légers sont fondamentales. Son sens du commerce lui fait comprendre qu’il est préférable de vendre des voitures en kit afin de faire économiser la taxe de vente de 25 % à ses clients. Ainsi naît la fameuse Lotus Seven. Mais Colin Chapman veut faire de la course automobile et ainsi financer le Team Lotus avec les ventes de ses voitures en kit.
Après avoir effectué ses premières armes en inscrivant des Lotus en Formule 2 et aux 24 Heures du Mans, Chapman fait débuter Lotus en Grand Prix à Monaco en 1958 avec une paire de Lotus 12-Climax confiées à Graham Hill et Cliff Allison. C’est Stirling Moss qui procure à Lotus sa première victoire en F1 à Monaco en 1960 au volant d’une Lotus 18-Climax.
Puis, ce sont les années fastes avec Jim Clark (Champion du monde en 1963 et 65), Graham Hill (Champion en 1968) et Jochen Rindt (Champion posthume en 1970). Pour Chapman, légèreté était synonyme de vitesse. Le Britannique moustachu était l’opposé d’Enzo Ferrari. Il préférait de loin une voiture légère dotée d’une tenue de route parfaite à une autre, juste puissante.
Des Lotus très fragiles...
Obnubilé par le poids de ses créations, Chapman crée des voitures trop légères, trop fragiles et qui cassent souvent. Dans une lettre, Rindt prévient Chapman que ses Lotus, hyper rapides, n’ont pas besoin d’être aussi fragiles pour gagner des courses. Le pauvre Jochen en paie le prix en se tuant à bord d’une Lotus au Grand Prix d’Italie en 1970 suite à un bris mécanique.
Durant les années 70, Chapman, toujours aussi maladif à propos du poids, ordonne souvent que ses mécanos retirent quelques litres de carburant des voitures sur la grille de départ afin de les alléger. Mario Andretti perd ainsi plusieurs victoires durant les derniers tours des courses à cause d’un réservoir vide...
Chapman, surnommé “The Old Man” par son personnel, possède un caractère irascible. Il est un dictateur terriblement exigeant envers ses ingénieurs et surtout ses mécanos qui travaillent souvent jour et nuit sans aucune considération de sa part.
Après le titre acquis par Andretti en 1978, Chapman dépense beaucoup d’argent dans des projets coûteux : la Lotus 80, la Lotus 88 à double châssis, l’acquisition de moteurs turbo Renault, la suspension active et la fabrication de ses propres châssis en fibre de carbone. Simultanément, son commanditaire principal, John Player Special, hésite à augmenter son budget F1. Chapman implique aussi Lotus dans la fabrication d’un avion ultraléger, incluant son moteur. Les ventes de Lotus de série sont désastreuses et les finances de Lotus Cars sont au bord du gouffre.
Chapman est aussi profondément désillusionné par le monde de la F1 et surtout par la FIA qui ne cesse d’interdire ses innovations technologiques. Il délaisse le contrôle du Team Lotus à Peter Warr et s’intéresse au projet de John DeLorean et de sa voiture à carrosserie en acier inoxydable, la fameuse DeLorean DMC-12.
Mauvaise idée. Chapman s’associe à l’homme d’affaires américain et implique Lotus dans la conception de la DeLorean. L’ingénieur britannique est fasciné par le projet technique de cette voiture, mais a-t-il omis d’effectuer quelques recherches sur son nouvel associé ? Quoi qu’il en soit, ce dernier est arrêté pour trafic de drogue. La justice enquête. Chapman est dans de sales draps, car les autorités fiscales établissent qu’il a sciemment reçu une compensation en argent provenant du trafic de drogue effectué par John DeLorean. La transaction avait été effectuée par le biais de sociétés offshores.
Quelques semaines plus tard, durant la nuit menant au 16 décembre, Colin Chapman, âgé de seulement 54 ans, meurt d’une crise cardiaque dans sa maison de Norwich. Par la suite, malgré les huit victoires décrochées par Elio de Angelis et Ayrton Senna, le Team Lotus n’est plus que l’ombre de lui-même. Fin 1994, l’écurie, criblée de dettes, tire sa révérence.