C’est le 7 décembre 1997 que le Premier ministre britannique, Tony Blair, a publiquement avoué que le grand patron de la Formule 1 de l’époque, Bernie Ecclestone, était intervenu dans le but d’exclure la Formule 1 de la portée d’une loi anti-tabac.
Depuis 1968, plusieurs écuries de Formule 1 étaient commanditées, à des montants plus ou moins élevés, par des compagnies de tabac. Imperial Tobacco avait été la première à le faire en 1968 en affichant la marque Gold Leaf sur les flancs des Lotus 49 de Graham Hill et Jackie Oliver. Puis, presque toutes les écuries incluant Ferrari, avaient accepté l’argent des cigarettiers. L’argent coulait à flots.
C’est à la fin des années 60 qu’apparaît Bernie Ecclestone dans le paysage de la F1. D’abord gérant du pilote Jochen Rindt, il achète ensuite l’écurie Brabham. Mais cela n’est qu’une façon pour lui d’entrer dans le cercle étroit des propriétaires d’écuries de F1, car son but ultime est le prendre le contrôle financier de la F1.
Né dans la pauvreté à St Peter South Elmham dans le Suffolk en 1930, en pleine récession économique, Bernard Ecclestone doit lutter pour survivre dans un monde cruel et sans pitié. Très jeune et doté un sens aigu des affaires, il effectue deux rondes de livraisons de journaux chaque jour. Avec cet argent, il achète des biscuits et des pâtisseries qu’il revend à ses copains écoliers avec un profit de 25%. C’est ce qu’on apprend dans le livre “No Angel” de Tom Boyer qui raconte la vie tumultueuse du grand argentier de la F1.
Adulte, Ecclestone a été vendeur de voitures usagées et n’a jamais eu peur de confronter les mécontents, parfois agressifs. Prêt à parier sur n’importe quoi, Ecclestone est un joueur doué, doté d’un sens aigu de la persuasion. Arrivé en F1, il sait que ce sport est financièrement et commercialement sous-exploité, et c’est pour cette raison qu’il désire en prendre le contrôle.
Arrivent les années 90 et plusieurs pays instaurent des lois anti-tabac qui interdisent toute publicité, directe ou indirecte, des produits du tabac. Et cela inquiète profondément Ecclestone, car presque toutes les écuries de F1 sont commanditées par des cigarettiers.
Avant sa victoire aux élections générales de 1997, le parti travailliste britannique s'était engagé à interdire la publicité du tabac, soutenant ainsi une proposition de directive de l'Union européenne interdisant la publicité et la commandite du tabac. Une fois au pouvoir, le parti nomme Tessa Jowell au poste de ministre de la santé publique, et cette dernière est farouchement en faveur de cette interdiction de la publicité du tabac.
Mettre la pression
Le 16 octobre 1996, Ecclestone et Max Mosley, alors président de la FIA, rencontrent le Premier ministre britannique, Tony Blair. Ils lui font bien comprendre que cette interdiction serait désastreuse pour l’industrie du sport automobile britannique, lui faisant probablement perdre 50 000 emplois à temps plein, 150 000 emplois à temps partiel et 900M£ (soit deux milliards de dollars canadiens à cette époque) en biens exportés.
Mosley, avocat de formation, insiste surtout sur le fait qu’en vertu des lois européennes, la proposition de directive européenne est illégale. Selon lui, Bruxelles n'a pas le pouvoir d'imposer des directives au Royaume-Uni en ce qui a trait à des questions de santé. Mosley ne recherche donc pas à faire exclure la F1 de la loi, mais de faire interdire la loi, tout simplement.
À ce moment-là, Mosley avait aussi des intentions politiques et avait l'idée de se présenter comme un futur député travailliste. C’est ainsi qu’un bailleur de fonds du parti travailliste fait comprendre à Ecclestone qu’une contribution financière significative aux coffres du parti serait bienvenue, à la fois pour aider la carrière politique de Mosley et faire pression afin que la loi anti-tabac ne touche pas la F1.
Ecclestone, qui soutient plutôt le parti conservateur, fait secrètement un don de 1M£ (2,2 millions de dollars canadiens) au parti travailliste de Blair. Peu après, des documents indiquent que le bureau du Premier ministre a demandé à Teresa Jowell de revoir sa position. Mystérieusement, et comme par miracle, le gouvernement britannique renie son programme électoral et annonce que la F1 serait exemptée de l'interdiction de la publicité pour le tabac dans la nouvelle loi. Mosley est déçu, car au lieu d’interdire tout simplement la loi, elle exclura la F1. Évidemment, des experts se demandent pourquoi le gouvernement a-t-il pris cette décision ?
La contribution d’Ecclestone risque de faire grand bruit si elle devient publique. Blair et son parti décident de remettre secrètement l’argent à Ecclestone afin d’éviter tout soupçon d’influence. C’est mal connaître les journalistes d’investigation de trois journaux britanniques qui découvrent l’affaire du don d’Ecclestone... L’affaire devient publique.
En très mauvaise posture, Tony Blair présente maladroitement ses excuses début décembre pour la mauvaise gestion de l'affaire par son gouvernement. Il déclare “la décision d'exempter la F1 du parrainage du tabac a été prise en réponse à la crainte de voir la Grande-Bretagne perdre l'industrie du sport automobile au profit des pays asiatiques qui faisaient des propositions”.
Si Blair et son gouvernement furent éclaboussés par cette affaire, Bernie Ecclestone s’en est très bien sorti, ayant obtenu ce qu’il voulait tout en récupérant son chèque d’un million de livres sterling !