Quelques années après le décès de Gilles Villeneuve lors des qualifications du Grand Prix de Belgique à Zolder en 1982, un autre pilote canadien a accédé à la Formule 1, par la très petite porte, au sein de la microscopique écurie italienne Osella.
Allen Berg, puisque c’est de lui qu’il s’agit, est le père d’Alex Berg, 14 ans, qui vient d’être sélectionné parmi les futurs pilotes de Mazda Motorsports aux États-Unis.
Bon pilote, rapide, intelligent, mais surtout très discret, Allen Berg a affronté des grosses pointures durant sa carrière, comme Ayrton Senna et Martin Brundle en Formule 3, avant de se retrouver aux commandes d’une monstrueuse voiture turbo de F1 en 1986.
Né à Vancouver en 1961, Allen Berg découvre le sport automobile en accompagnant son père, Ben Berg, qui pilote un dragster de 2200 chevaux. Allen court d’abord en kart puis en Formule 1600 ici au Canada avant de monter en Formule Atlantique en 1981. Il récolte le titre de recrue de l’année, terminant cinquième au classement final derrière le champion, oncle Jacques Villeneuve.
En 1983, Berg s’exile au Royaume-Uni et dispute le Championnat britannique de F3 où il affronte Ayrton Senna et Martin Brundle. Un an plus tard, il devient vice-champion de cette même série. En 1986, il grimpe en F1 avec la petite écurie Osella. Allen nous raconte cette période formidable de sa carrière un peu plus loin.
Après la F1, il dispute les 24 Heures du Mans sur une Porsche 962C de Richard Lloyd Racing puis revient au pays courir en série GM ouest. Après une saison passée en Allemagne à courir en DTM à bord d’une BMW, Berg va passer plusieurs années au Mexique où il devient pilote professionnel, avec un salaire, un appartement fourni, une voiture (VW Beetle d’ancien modèle) et un compte de dépenses. Il court dans les séries mexicaines de F2, F3 et Indy Lights, remportant des victoires et des titres. Il accroche son casque et fonde son écurie de course, Scuadra Fortia, inscrite en Formule Atlantique. En 2007, il crée son école de pilotage, Allen Berg Racing Schools, établie en Californie et s’occupe de la carrière de son fils Alex.
Pas facile, la Formule 1...
Quand il courait au Mexique, j’ai passé une journée entière avec Allen qui m’a raconté son épisode tumultueux en F1.
« Après avoir couru en F3 en Angleterre, j’ai effectué des essais avec les écuries de F1 Arrows, Spirit, RAM et Tyrrell. Le problème est qu’il fallait que j’apporte de l’argent et que je n’en ai pas trouvé suffisamment » me raconte Berg.
« Mon gérant en F3 était Michel Koenig, l’éditeur du magazine Grand Prix International. On s’est revu par hasard dans le lobby d’un hôtel de Toronto en 1985. On a décidé de retravailler ensemble et de viser la F1. Juin 1986, un baquet s’est libéré chez Osella F1, celui de Christian Danner. Koenig a négocié avec Enzo Osella et ce dernier a accepté de me prendre. J’aurais dû débuter au Grand Prix du Canada à Montréal, mais ça ne s’est pas fait, car Osella n’avait pas libéré Danner à temps. »
« J’ai passé le week-end avec l’équipe Osella et j’ai signé mon contrat sur un baril d’essence dans le garage le lundi matin. Enzo Osella a pris le contrat de Danner, a rayé son nom et inscrit le mien. J’ai donné mon dépôt de 25 000$ canadien. J’étais un pilote de F1 ! »
Allen Berg effectue ses débuts quelques jours plus tard au Grand Prix des États-Unis à Détroit, sans avoir effectué un seul tour de piste auparavant. On le sangle dans la voiture et il part à l’assaut d’un circuit urbain bordé de murets de béton et qui lui est totalement inconnu.
« Je me suis retrouvé dans une voiture complètement dépassée technologiquement, propulsée par un moteur turbo d’une extrême brutalité et préparée par la plus petite équipe de F1 » poursuit-il. « À cette époque, il n’y avait pas de simulateur. Je n’avais jamais roulé sur le circuit de Détroit. L’Osella ne pesait que 540 kg et son moteur Alfa Romeo V8 turbo produisait 950 chevaux en qualification et 850 en course. En dessous de 7500 tours/minute, le moteur était creux. À 8000 tours, il se réveillait et à 8500 tours, les 950 chevaux arrivaient sauvagement. C’était comme un interrupteur : tout ou rien. L’accélération était phénoménale et j’étais capable de faire patiner les roues arrière en cinquième vitesse à 200 km/h ! »
Il poursuit son récit : « Le temps de réponse était horriblement long. Je devais appuyer sur l’accélérateur juste avant que les pneus avant pointent dans la bonne direction. Sinon, c’était le mur. Je devais constamment anticiper. Le freinage était diabolique et l’appui des ailerons était si puissant que lever le pied de l’accélérateur équivalait à freiner d’urgence dans une voiture de série. »
Berg ne connaît pas la plupart des circuits de F1. Puisque son Osella est hyper fragile, l’équipe le fait peu rouler. Il se qualifie en queue de peloton, mais parvient à terminer 12e en Allemagne, 13e au Portugal et 16e au Mexique. « Au Portugal, j’ai n’ai complété que six tours de piste le matin avant d’affronter les qualifications. Je me souviens que pour disputer les deux derniers Grands Prix de la saison, nous n’avions que deux voitures et un seul moteur de rechange... »
Berg a participé à neuf épreuves de F1 pour une somme dérisoire. « Au début, j’ai dégoté quelques commanditaires, dont Financial Trust, une entreprise de Calgary. Sans un sou, j’ai commencé à rater les échéances de paiements. Pour Monza, Enzo Osella a été obligé de mettre un autre pilote payant [Alex Caffi] dans ma voiture. “Trouve la somme requise pour les trois derniers Grands Prix et j’oublie ce que tu me dois jusqu’ici”, m’a dit Osella. La brasserie Labatt m’a aidé pour les trois dernières courses. En tout et pour tout, ma saison en F1 m’a coûté 230 000$. Une fois l’année terminée, quelques écuries m’ont contacté et j’ai entrepris des pourparlers avec Labatt pour la saison 1987. Malheureusement, le Grand Prix du Canada fut annulé et mon projet a capoté. Je suis quand même extrêmement fier d’avoir couru en F1 et d’avoir piloté ces voitures incroyables. »