Nous sommes en 1985. La Scuderia Ferrari connaît de grandes déceptions en Formule 1. Son dernier titre mondial remonte à 1979 avec Jody Scheckter et au cours des cinq saisons précédentes, soit de 1980 à 1984 inclusivement, les pilotes Ferrari n’ont remporté que dix victoires.
Et la tension monte entre Ferrari et la FIA, car cette dernière a bien l’intention de modifier la règlementation technique afin de ralentir les voitures de F1. Pour se faire, la FIA désire interdire les moteurs possédant plus de huit cylindres. Pour Enzo Ferrari, cette proposition est carrément insultante. Le maître de Maranello a toujours considéré le moteur comme étant l’élément le plus important de ses bolides. Pour Ferrari, un moteur est obligatoirement un sublime V12 et imposer des moteurs de “seulement” huit cylindres est un sacrilège.
Le vieil homme va donc jouer la carte du chantage. “Si vous vous obstinez à imposer des V8, Ferrari quittera la F1 et ira courir ailleurs. Que deviendra la F1 sans Ferrari ?” laisse bien comprendre Enzo Ferrari qui, en même temps, porte un grand intérêt au gigantesque et lucratif marché automobile américain. Pour lui, faire courir ses voitures en série CART PPG Indy Car World Series, l’IndyCar de l’époque, et les voir disputer l’Indy 500 possède un attrait commercial indéniable.
Monsieur Ferrari envoie donc Marco Piccinini, le patron de la Scuderia, effectuer plusieurs voyages aux États-Unis afin d’assister à des courses de la série CART et convaincre les dirigeants de cette série qu’ils auraient tout à gagner à faciliter l’arrivée de Ferrari dans leur giron dès 1986. Les discussions se déroulent rondement.
Il est évident que pour réussir, ce projet posséder avoir deux entités : Ferrari pour produire les bolides et une écurie américaine pour les faire courir. Ferrari demande donc à Leo Mehl, le grand patron de la compétition internationale chez Goodyear, un allié de longue date, quelle serait la meilleure équipe à approcher pour concrétiser une telle entente. Mehl recommande chaudement l’écurie Truesport de Jim Trueman et qui fait courir Bobby Rahal.
Piero Lardi Ferrari et Piccinini se rendent aux États-Unis pour rencontrer les dirigeants de l’écurie Truesport. Ils parviennent à une entente de trois ans qui fait de cette équipe la base américaine de la Scuderia Ferrari.
Un département de design d’une vingtaine de personnes est créé à Maranello. Il comprend, entre autres, les concepteurs Gustav Brunner et Harvey Postlethwaite, ainsi que le chef mécano Antonio Bellentani.
L’accord avec Truesport inclut la livraison d’un châssis March 85C et de deux moteurs turbo Cosworth DFX. Ironiquement, cette March fut dessinée, en partie, par Adrian Newey ! Bobby Rahal et trois mécanos de Truesport se rendent en Italie pour montrer le fonctionnement du bolide à leurs homologues italiens. Rahal effectue deux journées de tests sur le circuit de Fiorano. Il avoue avoir du mal à négocier le virage en épingle, un peu trop serré pour une monoplace d’IndyCar.
Puis, c’est au tour du pilote régulier de Ferrari en F1, Michele Alboreto, de prendre le volant de la March. L’Italien est beaucoup plus petit et plus frêle que Rahal. Du coup, les mécanos doivent beaucoup avancer le siège et ajouter des blocs aux pédales.
Une fois les essais terminés, la March est désossée et analysée par rétro-ingénierie. Brunner se met au travail et dessine un châssis Ferrari et effectue de nombreuses visites en soufflerie pour affiner la carrosserie. Pour ce qui a trait à la motorisation, Brunner choisit un moteur existant, le V8 turbo de 2,6 litres qui propulsait les plus récentes Lancia C2 de Groupe C. Ce moteur sera profondément modifié par la suite et deviendra le Ferrari 034 d’une cylindrée de 2,65 litres possédant des échappements courbés vers le haut et passant à l’intérieur du V afin de gaver la turbine.
Le haut du châssis de cette Ferrari 637 est fabriqué de panneaux d’aluminium qui sont collés à la partie inférieure réalisée en fibre de carbone. Le museau de la voiture possède une forme triangulaire unique. Les pontons latéraux sont larges et très bas. À noter que la Ferrari Indy ne fut produite qu’à un seul exemplaire et en configuration de circuit routier et non pas d’ovale ou de superspeedway.
La 637 est testée à quelques reprises avant que des hauts gradés de la FIA soient invités par Enzo Ferrari à Maranello afin de prendre part à une réunion de travail pour discuter des futurs règlements F1. La rumeur veut que le moteur de la 637 ait été démarré durant cette fameuse réunion en même temps qu’Enzo Ferrari répétait son intérêt pour la série IndyCar... Peu importe si cette histoire de moteur démarré en pleine réunion a fonctionné ou pas, la FIA a finalement fait marche arrière et a permis à Ferrari de continuer à employer ses moteurs V12.
Très peu de temps après, c’est avec stupéfaction que l’équipe de Brunner apprend que le projet Indy est arrêté et que la 637 peut être exposée au musée. John Barnard, qui vient tout juste d’être recruté par Ferrari, assure que ce n’est pas lui qui a stoppé le projet. Faut-il alors croire que cette voiture a été créée de toute pièce afin de servir de levier à Enzo Ferrari dans son bras de fer avec la FIA ?
Le patriarche a apporté son secret avec lui dans sa tombe, mais plusieurs experts prétendent que oui. Mais n’était-ce pas exagéré ? Si ce n’était que du bluff, pourquoi avoir englouti autant d’argent dans ce projet, monopolisé des ingénieurs et une équipe technique, contacté Leo Mehl, signé un contrat de trois ans avec Truesport et trouvé les commanditaires nécessaires ?
D’autres personnes bien renseignées, proches de la Scuderia, affirment plutôt qu’Enzo Ferrari était réellement décidé à faire courir des voitures portant son nom en série CART et au Indy 500. Alors pourquoi avoir fait arrêter le projet si soudainement ? Personne ne peut vraiment confirmer si Enzo Ferrari aurait autorisé de voir sa marque courir dans deux séries en 1986, soit en Formule 1 et en série IndyCar américaine. Entre temps, l’unique exemplaire de la Ferrari 637 peut être admiré au Museo Ferrari à Maranello.