Après les terribles accidents survenus aux deux pilotes de la Scuderia Ferrari en 1982, soit le décès de Gilles Villeneuve à Zolder et les graves blessures aux jambes subies par Didier Pironi à Hockenheim, la FIA imposa une véritable révolution en Formule 1 en imposant l’adoption d’un fond plat à toutes les voitures de F1 pour la saison 1983.
La première véritable voiture à effet de sol dotée de jupes est apparue en 1977 : il s’agissait de la Lotus 78. Ses pontons déporteurs contenaient des tunnels venturi, des ailes d’avion inversées, qui, situés près du sol, créaient un effet de sol ; une succion qui faisait “coller” la voiture à la piste et lui permettait de rouler extrêmement vite dans les virages. En 1978, Mario Andretti décrocha le titre mondial au volant de la Lotus 79, une 78 affinée et améliorée. Évidemment, tous les autres constructeurs n’eurent d’autre choix que de suivre cette voie.
Au début des années 80, les voitures à moteurs turbos et à effet de sol étaient incroyablement rapides. Et pour accroître leur efficacité, les suspensions étaient pratiquement bloquées afin de conserver un effet de sol constant. Par contre, si une jupe se coinçait en position haute, le bolide, brusquement privé d’appui, décollait comme un avion. La FISA, la branche sportive de la FIA, s’inquiéta des accidents de Villeneuve, Pironi et d’autres pilotes, de la surpuissance des moteurs turbo et des pneus ultra performants. Les voitures étaient devenues beaucoup trop rapides. Il fallait intervenir.
La FISA discuta avec les équipes d’une réduction de l’effet de sol. Cependant, les FISA désirait une action rapide tandis que les écuries voulaient plutôt un changement graduel échelonné sur plusieurs années. Durant des mois, les négociations ont piétiné, chacun restant campé sur sa position jusqu’à ce que la FISA tranche pour de bon. Voté le 14 octobre puis adopté le 3 novembre, le nouveau règlement bannit l’effet de sol par l’adoption d’un fond plat sous les voitures et l’interdiction des jupes latérales.
Un défi colossal
Ainsi, les tunnel venturi doivent disparaître et laisser leur place à un fond parfaitement plat devant courir sous la voiture entre l’arrière des pneus avant et l’avant des pneus arrière. Les équipes peuvent encore concevoir des voitures munies de pontons latéraux, mais dépourvus de jupes et munis d’un fond plat. Les ingénieurs, pris de court, se rendent vite compte que les nouvelles voitures perdent jusqu’à 60% de leur appui aérodynamique. Et la saison 1983 doit débuter dans même pas quatre mois. Il leur faut concevoir de toutes nouvelles voitures en urgence...
Voici comment l’écurie Brabham, menée alors par Bernie Ecclestone, a géré cette situation extrêmement problématique.
Brabham avait déjà fabriqué et commencé à tester sa BT51, conçue selon l’ancienne règlementation technique permettant l’effet de sol. Gordon Murray, le concepteur, dut mettre cette voiture au rancart et se remettre à sa planche à dessin, travaillant 18 heures par jour pendant trois mois pour produire une toute nouvelle monoplace, la fameuse BT52 (photo ci-dessus).
« J’ai pris un énorme risque dans la conception de la Brabham BT52 à moteur BMW turbo. Nous n’avions pas le temps d’aller effectuer des études en soufflerie pour concevoir de nouveaux pontons. Alors je l’ai ai éliminés », raconte Murray dans son prodigieux livre “One Formula”.
« Je savais que le moteur BMW turbo allait produire un couple phénoménal et beaucoup de puissance à haut régime. J’ai donc décidé de générer de l’appui seulement avec les ailerons. J’ai aussi déplacé beaucoup de masse sur le train arrière et accru l’empattement. La répartition des masses a varié de 7,5%, ce qui est gigantesque en F1. J’ai dessiné un châssis très étroit et un aileron avant très simple afin de générer le moins de turbulences possible. Au contraire, l’aileron arrière était très creusé et produisait énormément d’appui. Cette BT52 a donc eu l’allure d’une flèche. »
Seules les écuries Williams, Tyrrell, Toleman, Spirit et Osella optèrent aussi, comme Brabham, pour des voitures à fond plat privées de pontons latéraux.
Au premier Grand Prix de la saison 1983, disputé sur le circuit de Jacarepagua de Rio de Janeiro, les chronos chutent de six secondes. La pole position de 1982 avait été réalisée par Alain Prost sur sa Renault turbo en 1’28,808 à la vitesse moyenne de 203,971 km/h. Un an plus tard, sans effet de sol, Keke Rosberg a installé sa Williams-Cosworth à fond plat en pole position avec un temps de 1’34”526 à la vitesse de 191,604 km/h.
La BT52 permit donc à Nelson Piquet de récolter le titre mondial en 1983, son moteur BMW ayant profité, il est vrai, d’un carburant suspect à base de toluène créé par l’entreprise chimique BASF contre lequel Renault n’a pas porté plainte.
En cours de saison, les aérodynamiciens se sont vite rendus compte qu’un fond plat pouvait quand même générer de l’appui aérodynamique. Il suffisait d’y greffer un diffuseur à l’arrière. Ainsi, l’air comprimé sous la voiture était soudainement libéré et créait un effet de succion qui faisait coller la voiture au sol. Au fil des ans, l’appui aérodynamique est devenu de plus en plus important et est finalement revenu au niveau qu’il était avant l’interdiction des pontons déporteurs.
Pour la FIA, il fallait intervenir encore une fois. Mais ça, c’est une autre histoire...