Un peu partout au monde, des aérodromes et des aéroports désaffectés ou encore opérationnels servent à présenter des sports mécaniques. On n’a qu’à penser à ICAR au Québec, Silverstone au Royaume-Uni, Anderstorp en Suède, Lurcy-Lévis en France ou encore Sebring aux États-Unis. En 1983, un avion d’Air Canada, en panne de carburant, s'est posé sur un ancien aérodrome manitobain où se déroulaient des courses automobiles !
L’incident est survenu sur le circuit de Gimli, un ancien aérodrome militaire de la RCAF dont une des deux pistes, la 32R* (R pour right, piste de droite), est encore employée aujourd'hui par le Gimli Industrial Park Airport. Depuis 1972, le Winnipeg Sports Car Club organise des courses automobiles à cet endroit sur la piste 32L, désaffectée, qui sert de ligne droite pour le circuit routier et le drag. On y présente des courses de F1600, de sedans et GT ainsi que du karting.
On se souviendra que c’est justement sur cette piste de Gimli que Gilles Villeneuve a remporté sa première victoire en Formule Atlantique le 22 juin 1975. Villeneuve avait piloté sa March 75B de sa propre équipe à la victoire sous une pluie battante.
Le 23 juillet 1983, Bob Pearson et Maurice Quintal, deux pilotes très expérimentés, prennent les commandes du Boeing 767 d’Air Canada immatriculé C-GAUN pour effectuer le vol 143 effectuant la liaison Montréal-Ottawa-Edmonton. Avant le départ de Montréal, l’équipage se rend compte que le capteur qui indique à l’ordinateur de bord la quantité de carburant embarquée ne fonctionne pas. L’équipe d’entretien calcule alors à la main la quantité de carburant qu’il faut pomper à bord en utilisant le facteur de densité du kérosène. À cette époque, le pays passait des mesures anglaises (impériales) à métriques.
Le plein est donc réalisé avec un facteur de 1,77 livres par litre de kérosène. Par contre, cette valeur aurait plutôt dû être de 0,8 kilo par litre. En d’autres mots, l’équipe au sol a pompé la moitié du carburant requis. Après son bref arrêt à Ottawa, les réservoirs du 767 ne possèdent pas 20 400 kilos de kérosène comme le croient les pilotes, mais seulement 9 144...
Lorsque que l’avion vole au-dessus de Red Lake en Ontario à la vitesse de 870 km/h et à une altitude de 12 500 mètres, un moteur, puis le second arrêtent de fonctionner. Le tableau de bord de l’avion s’éteint. Privé de pression hydraulique, les commandes deviennent inopérantes jusqu’à ce que le RAT (Ram Air Turbine) entre en action et produise juste assez de pression pour faire péniblement bouger les ailerons et les gouvernes de profondeur et de direction. L’énorme 767 devient soudainement un planeur de 132 tonnes. Pearson, qui possédait heureusement de l’expérience dans le vol de planeurs, prend les commandes tandis que Quintal, avec juste un bout de papier et un crayon, calcule le rythme de la descente et cherche un aéroport proche. Déception : celui de Winnipeg est trop loin, il ne sera pas possible de l'atteindre...
Ayant été basé à Gimli durant son service militaire, Quintal s’est souvenu de l'aérodrome situé à juste 19 kilomètres de distance. Par contre, Gimli n’a plus de tour de contrôle pour les guider (ce qui aurait été inutile car la radio est morte) et la piste 32L avait été réaménagée avec un rail de sécurité la séparant en deux pour des courses de drag, ce qu’aucun des deux pilotes ne savaient.
Ce 23 juillet, c’est la fête au circuit avec des courses de karting** qui se déroulent heureusement à une extrémité de la piste 32L. Il y a des centaines de voitures et de remorques garées un peu partout. Et surtout pas moyen d’avertir des gens qu’un monstre silencieux va tenter de se poser sur leur piste !
Sans moteur, le 767 chute rapidement et l’équipage sait qu’il ne disposera pas d’une seconde chance pour se poser. Sans pression hydraulique suffisante, le train d’atterrissage avant ne se déploie pas entièrement. Après avoir effectué des virages prononcés pour ralentir l’avion qui planait encore trop vite, Pearson pose le planeur au sol sous les yeux horrifiés des spectateurs qui, on ne sait comment, se sont éloignés.
Il freine fort et deux pneus explosent. Le train d’atterrissage avant s’écrase et le nez de l’avion racle le sol dans une spectaculaire gerbe d’étincelles. Le nez de l’avion frotte le rail de sécurité de la piste et fracasse plusieurs poteaux en bois. Finalement, le 767 s’immobilise après une descente de 17 minutes et les passagers évacuent l’avion par les toboggans gonflables. Miraculeusement, personne parmi les 69 passagers et les nombreux spectateurs ou concurrents au circuit n’a été sérieusement blessé.
Le début d’incendie qui s’était déclaré sous l’avant de l’avion a vite été éteint par des officiels du circuit armés d’extincteurs. Cet atterrissage réussi tenait du miracle, et surtout du sang froid et de l’expérience des pilotes.
La journée suivante, Air Canada a envoyé des mécaniciens et les pièces de rechange pour réparer l’avion, surnommé depuis le "Gimli Glider" (planeur de Gimli). La rumeur veut que le camion dans lequel ils prenaient place est lui-aussi tombé en panne d’essence en se rendant sur place ! Une fois réparé, l’avion a quitté Gimli, a été inspecté et a continué à voler jusqu’au 24 janvier 2008, jour où il fut piloté pour une dernière fois jusqu’au "cimetière" d’avions situé dans le désert de Mojave en Californie.
* Une piste d’aéroport est identifiée par un numéro à deux chiffres indiquant son orientation par rapport au nord magnétique en dizaines de degrés. Lorsque plusieurs pistes sont orientées dans la même direction, une lettre est ajoutée après le numéro : L pour left (piste de gauche), R pour right (piste de droite). Tous les textes historiques relatant cet incident indiquent la piste 32, mais cette indentification est devenue 33 depuis, car la position du nord magnétique n'est pas stable, ce qui signifie qu'un numéro de piste risque de changer au cours du temps. C’est ce qui est survenu à l’aérodrome de Gimli.
** Certaines photos historiques montrent une grille de départ de monoplaces en avant de l'avion. Mais ces photos ont été prises le lendemain. Compte-tenu que l'endroit où l'avion s'était arrêté ne gênait pas le tracé du circuit routier, les courses eurent tout de même lieu le dimanche. Le samedi, lorsque l'avion a atterri, ce sont bien des courses de karting qui avaient lieu.