Depuis 1976, le Québec et l’Ontario ont à peu près toujours présenté une série monotype de petites compactes qui permet aux pilotes confirmés et aux amateurs de sport automobile de s’affronter en piste au volant de voitures identiques.
Le "Volant québécois", série monotype mettant en vedette des Honda Civic, est devenu par la suite la série Honda/BFGoodrich, puis la série Honda Michelin. Cette dernière était, à une époque, un véritable championnat national avec une série dans l’Est du pays et une autre sur la côte ouest et une grande finale mettant aux prises les meilleurs pilotes de chaque championnat. La Coupe Nissan Micra, qui a débuté en 2015, est l’héritière directe de cette fameuse série Honda.
L’histoire de la série Honda est intimement liée à celle de la famille Wittmer, très connue dans le monde du sport automobile québécois. Kuno Wittmer père, qui est venu s’établir ici après avoir quitté son Allemagne natale, a couru en rallye et a ouvert une concession automobile de la marque Honda au début des années 1970. Ses fils, Patrik et René, ont couru en série Honda et Patrik est demeuré très impliqué en course automobile, soutenant la carrière de ses garçons Kuno (fils), Nick, Karl et Kurt.
Patrik a fouillé dans ses souvenirs et il nous raconte ici la genèse de la série Honda canadienne.
« Selon ce que je me souviens, courant 1975, Gilles Bourcier [journaliste au quotidien La Presse] a présenté une idée de série monotype à mon père [Kuno père] qui était un concessionnaire Honda » nous explique Patrik Wittmer.
« Gilles avait assisté à des courses de la série monotype Renault 5 en France et s’était dit “Pourquoi ne pas instaurer une série comme celle-là ici ?”. Connaissant mon père, Gilles a décidé de faire cette série avec des Civic. Gilles a tout organisé et mon père a, selon ce que je sais, convaincu Ralph Luciw de Honda Canada de s’impliquer. »
La recette était simple : organiser des courses avec des Honda Civic stock et identiques, n’ayant subi que quelques modifications assurant la sécurité des pilotes. Et que le meilleur gagne ! « L’idée de Bourcier était de déterminer qui était le meilleur pilote au volant de voitures identiques. Des invitations ont été lancées à des concurrents de différentes catégories, comme le circuit routier, le drag, le stock-car et le rallye. N’importe quel individu possédant une licence de compétition pouvait participer. »
Honda Canada était content de voir la Civic démontrer son potentiel devant d’importantes foules, car à cette époque la marque était plutôt connue pour ses motos. Les premières Civic sont arrivées au pays en 1973. “Quoi ? Il y a des autos de marque Honda ?” était un commentaire souvent entendu.
La petite Civic de 1976 ne pesait que 730 kilos, était propulsée par un moteur quatre cylindres atmosphérique de 1200 cm3 produisant un peu plus de 50 chevaux et accouplé à une boîte manuelle à quatre vitesses. « Il s’agissait du modèle de base, celui avec la petite valise à l’arrière. On devait conserver les petites roues en acier de 12 pouces, la suspension d’origine, les freins à tambours à l’arrière, les freins à disques à l’avant actionnés par des étriers à un seul piston, conserver tout à l’intérieur - même le volant et les tapis, ajouter un extincteur à main et un simple arceau de protection et non pas une cage » précise Wittmer qui ajoute : « De ce que je me souviens, la Civic neuve coûtait 4200$, ce à quoi il fallait ajouter le prix de la préparation par un spécialiste accrédité. La voiture devait demeurer légale pour la rue et être immatriculée. On allait et on revenait des circuits en conduisant nos voitures de course. »
La première saison du “Volant québécois” a donc eu lieu en 1976. Elle comprenait 11 épreuves dont cinq hors-championnat. Les courses furent présentées sur les circuits du Mont-Tremblant, Sanair (le petit ovale et le routier), Trois-Rivières et Mosport Park. Certaines épreuves ont vu des grilles de départ de 26 Civic. Parmi les participants connus, il faut noter Jacques Bienvenue, Jacques Villeneuve et son frère Gilles, Richard Spénard, Marc Dancose, le champion de rallye Jean-Paul Pérusse, le journaliste Pierre Lecours, le champion de stock-car Jean-Paul Cabana, le propriétaire de la piste de Sanair Jacques Guertin et même Peter Broeker qui avait couru en F1 avec sa Stebro.
Avoir vingt-six voitures lors de certaines épreuves ne relevait pas vraiment du miracle... « Honda Canada voulait avoir de belles grilles de départ » nous confie Patrik. « Mon père est donc allé voir les concessionnaires Honda du Grand Montréal et même un peu plus loin. Il leur a fait subtilement comprendre que s’ils n’inscrivaient pas une voiture dans la série, ils subiraient une baisse dans leur allocation de voitures neuves à vendre. »
Les courses étaient très chaudement disputées avec des batailles terriblement intenses partout dans le peloton. Malgré leur simplicité mécanique, les petites Civic présentaient toujours un excellent spectacle en piste.
« Honnêtement, la voiture tenait quand même bien la route. Je me souviens qu’à Mosport, dans la descente du virage 2, on atteignait près de 160 km/h ! Nous devions rouler avec les suspensions d’origine et malgré les pneus étroits, les voitures dérapaient très peu. Je ne me rappelle pas avoir refait une transmission au milieu de la saison. On changeait les plaquettes de freins quand elles étaient trop usées. On faisait l’alignement des roues au début de la saison et on n’y touchait plus. C’était très simple.»
La performance des pneus jouait un grand rôle dans le résultat final. « Les gars ayant l’expérience des circuits routiers transformaient les pneus d’origine en slicks en appuyant la voiture de face contre un mur solide et faisaient patiner les roues avant jusqu’à ce que les crampons disparaissent et que la semelle des pneus devienne lisse. On se demandait bien pourquoi ils faisaient ça. Nous, on mettait des pneus neufs à chaque séance. Venant du rallye, mon père assurait que la voiture serait plus rapide en pneus neufs. Mais on a fini par comprendre que des slicks sur l’asphalte étaient nettement supérieurs ! » raconte Wittmer.
En 1976, Jacques Bienvenue a remporté le titre de champion devant Marc Dancose et Michel Desormeaux. Jacques Villeneuve, le frère de Gilles, fut sacré champion en catégorie Espoir. Et un certain Richard Spénard fut nommé "pilote de l’avenir" !
Entre 1976 et 2006, la série Honda a permis à des centaines d’amateurs au pays de goûter aux joies de la course automobile et aux meilleurs pilotes de s’affronter au volant de la fameuse Civic qui est devenue, au fil des ans et des différents modèles, de plus en plus sophistiquée et nettement plus performante. La série Honda a indéniablement marqué l’histoire du sport automobile canadien.