L’écurie de Formule 1 créée par Sir Frank Williams a remporté ses premiers titres de Champion du monde des pilotes et des constructeurs à Montréal à l’occasion du Grand Prix du Canada de 1980.
Cette saison 1980 fut marquée par une dispute pour la prise de contrôle de la F1 mettant aux prises Jean-Marie Balestre, président de la FISA (la branche sportive de la FIA) et Bernie Ecclestone, patron de la FOCA (l’association des constructeurs F1). L’affrontement a atteint son paroxysme en juin quand le Grand Prix d’Espagne, disputé seulement par les écuries FOCA, fut déclaré hors-championnat.
À leur arrivée à Montréal, deux pilotes sont encore en lutte pour le titre mondial ; deux individus extrêmement doués, mais dotés de caractères radicalement différents. D’abord Alan Jones, Australien bourru, gros travailleur, pas émotif pour deux sous, hyper déterminé et d'une résistance physique à toute épreuve. L’autre est le Brésilien Nelson Piquet, talentueux, extraverti, mais pas en grande forme physique, enclin à la paresse et amateur de blagues de goût douteux. Tout les sépare. Et ils ne s’aiment pas.
Le Grand Prix du Canada est l’avant-dernière épreuve de la saison. Piquet, pilote de l’écurie Brabham d’Ecclestone, mène au championnat avec un point d’avance sur Jones de l’écurie de Frank Williams qui connaît ses premiers grands succès. À cette époque, le championnat ne retient que les cinq meilleurs résultats des sept courses de chaque demi-saison. Ainsi, Piquet, très régulier, doit retrancher au minimum deux points à son total tandis que Jones n'a qu’à décompter un abandon, donc aucun point. Jones peut ainsi être sacré champion en sol québécois, mais pas Piquet.
Fin septembre, la météo est compliquée. Il fait frais, et de courtes averses se succèdent, La piste est parfois sèche, parfois mouillée. Nous sommes bien avant l’ère de Max Verstappen et deux “jeunes” pilotes débutent en F1 : l’Italien Andrea de Cesaris (21 ans, 3 mois et 28 jours) sur une Alfa Romeo et le Néo-Zélandais Mike Thackwell (19 ans, 5 mois et 29 jours) sur une troisième Tyrrell.
Entre les gouttes de pluie, Piquet installe sa Brabham-Ford BT49B en pole position avec un temps de 1’27”328 devant Jones (Williams-Ford FW07B) 1’28”164 et Didier Pironi (Ligier-Ford JS11-15) en 1’28”322. C’est le désastre pour la Scuderia Ferrari avec Gilles Villeneuve en 22e place (sur 24) en 1’30”855 au volant de l’horrible 312 T5. C’est la catastrophe pour son coéquipier, Jody Scheckter, qui est non-qualifié !
Les 105 000 spectateurs présents - dont je fais partie - prévoient assister à un départ tumultueux. C’est le cas, car immédiatement après le feu vert, les monoplaces de Jones et de Piquet se touchent légèrement. La Brabham vire net et percute le mur. Keke Rosberg, juste derrière dans sa Fittipaldi F8, freine à mort pour ne pas la frapper. S’en suit un carambolage monstre avec plein de voitures qui se rentrent dedans. La piste est obstruée par huit bolides endommagés. Drapeau rouge. Personne n’a été blessé. Deux pilotes ne peuvent pas prendre le second départ : Derek Daly et Thackwell de l’écurie Tyrrell. Les autres empruntent les voitures de leurs coéquipiers ou celles de réserve.
Une fois la piste nettoyée et les épaves ramenées au paddock, le peloton se place pour le second départ. Alors que le feu est toujours rouge, la Ligier de Pironi, embrayage qui colle, ne cesse d’avancer. Le vert est finalement allumé et Jones bondit en tête. Piquet, au volant du mulet de l’écurie Brabham, double Jones et se bâti rapidement une avance de dix secondes. Au 20e tour, Piquet est toujours premier et Jones n’est pas en mesure d’être couronné. Mais quatre boucles plus tard, le Cosworth DFV de la Brabham de Piquet explose. Jones hérite de la tête de la course devant Pironi quand la Renault turbo de Jean-Pierre Jabouille subit un bris mécanique.
La Renault percute les rails de plein fouet dans le virage qui suit l’actuelle courbe Senna. La coque est presque coupée en deux et le poids de la voiture repose sur les jambes du pauvre Jabouille qui souffre de martyre. La course n’est pas interrompue (!) et l’extraction du Français est hyper longue. Il souffre de sept fractures à la jambe gauche. Il est transporté à l’hôpital Sacré-Cœur pour y être opéré. Jabouille avoue y avoir appris quelques-unes des expressions québécoises les plus savoureuses durant son séjour...
Au 39e tour, l’équipe Williams confirme à Jones que Pironi est pénalisé de 60 secondes pour avoir anticipé le départ. Cinq tours plus tard, l’Australien laisse passer Pironi qui ne représente plus une menace. Ce dernier croise l’arrivée en première position, mais à cause de sa pénalité, il est relégué au troisième rang derrière Jones et son coéquipier chez Williams, Carlos Reutemann. John Watson termine quatrième sur sa McLaren devant Gilles Villeneuve, incrédule d’avoir pris la cinquième place au volant d’une si mauvaise voiture.
Alan Jones sourit enfin sur le podium. Il est sacré Champion du monde et du même coup, l’écurie de Frank Williams déroche ses premiers titres mondiaux : celui de pilote et celui de constructeur. Il s’agit du premier de neuf titres des constructeurs acquis par Williams entre 1980 et 1997, année du titre de Jacques Villeneuve.