Après un début de saison 1994 laborieux, Jacques Villeneuve, le fils de Gilles, a inscrit sa première victoire en série CART le 11 septembre sur le magnifique circuit routier de Road America situé près de la ville d’Elkhart Lake dans le Wisconsin.
Suite à sa saison en Formule 3 japonaise et une autre en Formule Atlantique aux côtés de Claude Bourbonnais, Jacques Villeneuve monte en PPG Indy Car World Series en 1994 dans l’équipe Forsythe/Green Racing et commanditée par Player’s. Le jeune Villeneuve est aux commandes d’une Reynard 94I propulsée par un moteur Ford XB.
Ses débuts sont ardus. Il se classe 17ème, 25ème et 15ème lors des trois premières courses de la saison. Il stupéfie toutefois les experts en terminant deuxième lors des 500 milles d’Indianapolis. Par la suite, il termine quatrième à Cleveland, mais est victime d’un gros crash sur l’ovale du Michigan puis encaisse deux abandons consécutifs au New Hampshire et à Vancouver.
Quand l’équipe effectue des essais en préparation aux dernières épreuves de la saison, Villeneuve et son ingénieur, Tony Cicale, décident de retirer de l’appui à la Reynard. Jacques se sent vraiment à l’aise à négocier des virages rapides avec peu d’appui - ce qui sera sa marque de commerce en Formule 1 plus tard. Ainsi, la Reynard roule aussi vite dans les courbes tout en étant plus rapide que les autres voitures dans les lignes droites.
L’épreuve d’Elkhart Lake, la 14ème manche de 16 en cette saison 1994, est présentée sur le circuit routier de Road America, long de 6,4 km. La première ligne de départ est toute canadienne avec Paul Tracy (Penske-Ilmor) en pole position et Jacques Villeneuve à ses côtés. Al Unser Jr, sur une autre Penske, est qualifié juste derrière eux et peut remporter le titre en terminant troisième ou mieux.
La première partie de la course se résume en une bataille Tracy-Villeneuve-Unser Jr. Villeneuve passe toutefois à un cheveu de la catastrophe quand il n’arrive pas à sélectionner le premier rapport après son premier arrêt aux puits. Il parvient à repartir, mais a chuté en troisième place.
Une relance qui change tout
Quelques boucles plus tard, Arie Luyendyk est victime d’un gros accident dans le "Kink", ce qui nécessite l’intervention de la voiture de sécurité. La relance survient au 35ème tour et avec 15 boucles à parcourir. Placé derrière la voiture de sécurité, Tracy, en tête de la course, se rend compte qu’il roule un peu trop vite et qu’il doit lever le pied s’il ne veut pas la doubler. Ceci permet à ses rivaux de se rapprocher de lui. Le vert est agité et Villeneuve profite de l’aspiration que lui procure les deux Penske. Le trio de tête roule à plus de 300 km/h sur la ligne droite, en route vers le virage 1.
Villeneuve double Unser et Tracy, mais ce dernier le percute légèrement (c’est sa marque de commerce) au virage. Villeneuve n’est pas impressionné et en route vers le virage 2, c’est au tour du Québécois de donner un coup de volant afin de signifier à Tracy qu’il fera tout pour conserver la première place. Unser Jr en profite et double aussi Tracy.
Le reste de la course se résume à une bataille entre Unser Jr et Villeneuve, en tête. Ce dernier est passé maître dans l’art d’économiser du carburant et il parvient à garder la Penske derrière jusqu’au drapeau à damier. L’écart entre les deux n’est que de 0”608 à l’arrivée. D'accord : Unser Jr n'avait pas besoin de gagner la course pour être sacré champion, mais il aurait bien aimé décrocher sa couronne avec une victoire.
Villeneuve immobilise immédiatement sa Reynard à sec dans le virage 1 et décide de revenir aux puits à pied, saluant la foule. Même s’il n’a pas gagné, Unser Jr est pleinement satisfait, car il est sacré champion de la série. « Lors de la dernière relance, Paul [Tracy] a été un peu ralenti par le Pace-Car et j'ai pu profiter d'une bonne aspiration. Il y avait juste assez d’espace à l'intérieur du virage 1 pour le passer. J'ai bloqué les roues et j'ai pu le doubler » racontait Villeneuve après la course.
Jacques soulignait aussi : « j'ai commis de grosses erreurs durant mes arrêts aux puits. J'ai oublié de sélectionner le premier rapport lors du premier, puis j'ai calé le moteur lors du second. Ce ne fut pas facile d'avoir Unser Jr dans mes rétroviseurs durant les six ou sept derniers tours en sachant qu'il était plus rapide que moi. Je perdais un peu de temps aux freinages et dans les virages, mais je savais que si je ne commettais pas d'erreur, à cause de ma bonne vitesse en ligne droite, il ne pourrait pas me doubler. J'ai commencé à manquer de carburant à la ligne d’arrivée. J'ai toute de suite garé la voiture dans l'herbe, car le circuit est tellement long que si je tombais en panne plus loin, j'en aurais eu long à marcher pour revenir aux puits !»
Ironiquement, Jacques a remporté sa première victoire sur le circuit où son oncle Jacques avait lui aussi décroché son unique victoire en série CART neuf ans plus tôt. De plus, la Reynard de Jacques "Junior" portait le numéro 12; le même numéro de course qu’arborait la Ferrari 312 T3 que son père Gilles a conduit à la victoire au Grand Prix du Canada à Montréal en 1978.