« Gagner des courses de Formule Atlantique ne signifiait rien. Par contre, battre James [Hunt] à voitures égales a vraiment été un élément majeur. » Ainsi déclarait Teddy Mayer, le directeur de l’écurie de Formule 1 McLaren, alors qu’il préparait un contrat pour recruter un pilote québécois inconnu sur la scène internationale, un certain Gilles Villeneuve.
On sait qu’après un premier succès décroché à Gimli en 1975, Gilles Villeneuve a dominé la saison 1976 de Formule Atlantique, battant des pilotes expérimentés tels Bobby Rahal, Bertil Ross, Tom Klausler, Price Cobb et Bill Brack.
Ces monoplaces, issues de la Formule B et produites par des constructeurs comme March, Brabham, Chevron, Lola et Ralt, étaient propulsées par des moteurs 1,6 litre de plus de 200 chevaux, étaient munies d’ailerons et chaussées pneus slicks.
La saison 1976 s’achevait le 5 septembre par le Grand Prix de Trois-Rivières, jour de la fête du Travail. À ce moment, Villeneuve avait remporté toutes les victoires des championnats CASC et IMSA de Formule Atlantique, sauf à trois occasions.
En cette fin d’année sportive, les organisateurs de l’événement trifuvien décident de frapper un grand coup et invitent à nouveau plusieurs pilotes internationaux à participer à la course de Formule Atlantique. Villeneuve doit donc affronter Vittorio Brambilla, Alan Jones, Patrick Tambay, José Dolhem (le demi-frère de Didier Pironi), mais aussi et surtout James Hunt qui, pilote McLaren en F1, allait bientôt remporter le titre mondial. Villeneuve n’avait qu’un seul objectif en tête : battre ces pilotes de F1 à matériel égal.
À cette époque, les pilotes de F1 couraient aussi sporadiquement dans d’autres séries : en endurance, en F2, en F3, et même en IndyCar, question de gagner quelques dollars de plus et de garder la main. Hunt aurait eu droit à chèque plein de zéros pour venir courir à Trois-Rivières. Le Britannique arrivait du Grand Prix des Pays-Bas où il venait de remporter la victoire et dès la conclusion de l’épreuve de Trois-Rivières, il repartait disputer celui d’Italie.
Écurie Canada de Kris Harrison et dirigée par Ray Wardell inscrit deux March 76B-Ford : une pour le Québécois et une pour Hunt, Si celle de Hunt est flambant neuve, celle de Villeneuve est celle qu’il a endommagée lors d’une sortie de piste survenue plus tôt en essais au circuit du Mont-Trembant. Le châssis a été réparé, les tubes ont été coupés et soudés, mais il n’est pas parfait.
Villeneuve s’en rend compte dès ses premiers tours de roue. La voiture se comporte de façon étrange, car dès qu’il braque le volant, elle se met en travers. Dès qu'il l’inscrit en entrée de virage, elle survire de façon impressionnante. Villeneuve et Wardell tentent de résoudre le problème. Ils réduisent le survirage, mais ne parviennent pas à l’éliminer.
En qualification, Villeneuve, un véritable acrobate, est hyper spectaculaire. En dépit de la présence des murs de béton qui ceinturent la piste, il jette sa monoplace en travers dans les virages au point qu’il fait peur aux photographes postés autour du circuit ! Tous croient qu’il a perdu le contrôle de son bolide et qu’il va percuter le mur. Mais non ! Défiant les lois de la gravité, la March, en glissades brusques, parvient à négocier tous les virages.
Malgré ce handicap, mais bien aidé par un lot de pneus neufs, Villeneuve signe la pole position en 1’04”436. Il devance Tom Klauser avec 1’04”796, Bobby Rahal (1'04″807), Brambilla (1'04″987), Tambay (1'05″214), Hunt (1'05″246) et Alan Jones (1'05″377).
Pour tenter de corriger la tenue de route affolante de la monture de Villeneuve, l’équipe fait installer des roues et des pneus plus larges à l’arrière pour la séance de réchauffement. Cela améliore les choses, mais ne règle pas le problème.
Au baisser du drapeau vert pour cette course de 60 tours, Villeneuve réalise un super départ et mène la meute au virage 1, puis à celui du CAM (Club Autosport Mauricien) puis à la Porte Duplessis. Il file à toute allure et fidèle à son style de pilotage prodigieux, il pousse au maximum et signe vite le meilleur tour en course en 1'04″848, presqu’aussi vite que Rahal en qualification !
Villeneuve s’envole seul en tête et laisse les Européens, stupéfaits, se battre entre eux pour les deux autres marches de podium. Au final, Villeneuve gagne la course avec 10 secondes d’avance sur Alan Jones et 15 sur James Hunt et Vittorio Brambilla.
On connaît la suite. Hunt est retourné au Royaume-Uni et a tout de suite parlé de ce Villeneuve à ses patrons, Teddy Mayer et Tyler Alexander, ainsi qu’aux dirigeants de Marlboro. Hunt a été incroyablement honnête et n’a jamais cherché à trouver une excuse pour expliquer sa défaite face à ce jeune pilote issu des courses de motoneiges. Quelques mois plus tard, Mayer faisait signer un contrat à Villeneuve qui permit au Québécois de disputer son premier Grand Prix de F1 à Silverstone en juillet 1977.