Au début des années 70, la fameuse Lotus 72 a révolutionné le design des voitures de Formule 1 avec sa forme en coin, ses freins embarqués dans la coque, ses radiateurs latéraux, ses suspensions à barres de torsion et sa prise d’air dynamique.
Ses nombreux succès cachent toutefois une réalité : celle d’une tricherie qui fut adoptée à un certain moment. Il faut avouer que tout sport mécanique est sujet à une forme ou une autre de tricherie, ou à une interprétation futée d’un règlement technique ou sportif.
À la lumière de ce qui s’est récemment produit en F1 avec les fameuses écopes de freins de la Racing Point RP20, il est étonnant de constater comment les controverses étaient réglées à l’époque de dirigeants d’écuries comme Colin Chapman, Teddy Mayer, Mauro Forghieri et Ken Tyrrell.
Aujourd’hui, nous nous concentrons sur le cas de l’aileron arrière de la Lotus 72D à moteur Ford Cosworth DFV.
Depuis 1969, les artifices aérodynamiques des voitures de F1 doivent être fixes et ne pas bouger. Toutefois, ce règlement n’a pas empêché Colin Chapman de faire fabriquer et d'installer un aileron arrière mobile sur les Lotus 72D au cours de la saison 1972.
Après quelques Grands Prix, un nouvel aileron à corde plus courte fut produit et fixé à la voiture à l’aide d’un support unique boulonné au gros réservoir d’huile situé à l’arrière de la monoplace. Ce large support dissimulait toutefois une belle astuce : des tubes télescopiques enfermant des élastiques d’un diamètre de 2,5 pouces (6 cm), extrêmement résistants à la traction et à la compression. De l’extérieur, rien ne paraissait.
Cet aileron pouvait bouger, s’incliner et abaisser son angle d’incidence afin de réduire la traînée à haute vitesse sur les lignes droites d’un circuit. Lors d’un freinage pour négocier un virage, l’aileron reprenait la position originale et générait de l’appui aérodynamique.
Eddie Dennis, le mécanicien en chef du Team Lotus à ce moment, précisait : « même en vous asseyant dessus [l’aileron], vous n’arriviez pas à le faire bouger ». Ainsi, Chapman était convaincu que les inspecteurs techniques ne découvriraient pas le subterfuge, même s’ils poussaient ou tiraient de toutes leurs forces sur l’aileron.
Une première victoire en Italie
L’aileron arrière mobile est testé pour la première fois le 18 juin lors du Marlboro Gran Premio Republica Italiana, une course hors-championnat disputée sur le tracé de Vallelunga en Italie. Emerson Fittipaldi qualifie facilement sa Lotus 72D en pole position et gagne la course avec 33 secondes d’avance sur Andrea de Adamich sur une Surtees.
Lors du Grand Prix de France sur le tracé de Charade, Fittipaldi termine en deuxième place. Pour le Grand Prix de Grande-Bretagne à Brands Hatch, Geoff Aldridge, un ingénieur du Team Lotus, décide d’ajouter des supports à l’aileron arrière afin d’éviter que les écuries rivales se doutent de quelque chose...
Fittipaldi gagne à nouveau en Angleterre, mais abandonne à la course suivante présentée sur le Nürburgring. C’est finalement en Autriche que le pot aux roses est découvert, et de façon assez inusitée.
Fittipaldi installe encore sa Lotus 72D en pole position sur l’Österreichring. Après un départ prudent, le Brésilien prend la tête au 26ème tour et est pourchassé par la McLaren M19C de Denny Hulme durant 28 tours. "Fitti" remporte la victoire en terminant avec une mince avance de 1,18" sur Hulme.
En suivant aussi longtemps la Lotus, Hulme avait fini par remarquer que sur les lignes droites, il pouvait apercevoir le haut du casque de Fittipaldi tandis que dans les virages, le sommet du casque était caché par l’aileron arrière de la Lotus noire... Quelque chose clochait et Hulme en fait part à son équipe dès l’arrivée.
Alastair Caldwell de McLaren vient immédiatement voir les responsables du Team Lotus dans les paddocks après la course afin de scruter cette 72D de Fittipaldi. En observant le support principal de l’aileron, Caldwell note que la peinture du support, là où les tubes télescopiques s’emboîtent, est rayée et détériorée, ce qui dénote un déplacement de la pièce illicite.
Chapman comprend que son dispositif secret est démasqué et assure à Caldwell qu’il sera démonté pour la prochaine course. Pas d’enquête, pas de réprimande de la FIA, pas d’amende, pas d’exclusion, pas de victoires retirées. Les choses fonctionnaient comme cela à cette époque, contrairement à aujourd’hui où la saga Racing Point/Mercedes envenime réellement le climat en F1 et irrite une bonne partie des amateurs.