Le sport automobile des années 80 allouait une grande liberté aux ingénieurs à condition que leurs créations respectent les principes essentiels du règlement technique. Toutefois, il arrivait qu’on assiste à la naissance de bolides particulièrement déroutants...
Au début des années 80, un ingénieur américain, Herbert “Herb” Adams, a été fasciné par la Lotus 79 de Formule 1 qui exploitait à merveille l’effet de sol ; cette puissante succion générée par les pontons de la voiture en forme d’aile inversée qui permettait une adhérence accrue dans les virages. Adams en comprenait bien le fonctionnement, mais avait décidé de pousser la réflexion un peu plus loin. Comment arriver à générer encore plus de succion sous la voiture ? s’était-il demandé.
Adams était un ingénieur de talent. Il avait joint les rangs de General Motors en 1957. Au milieu des années 60, il fut nommé responsable des projets d’ingénierie chez Pontiac et fut l’un des concepteurs de la Trans Am de 1969 et de la fameuse Trans Am SD455 et son moteur V8 d’une cylindrée de 7,5 litres de 1973. Il a aussi dirigé une équipe qui produisit des voitures GM destinées à courir en SCCA et en NASCAR.
Par la suite Adams fonda sa propre entreprise d’ingénierie, Very Special Engineering (VSE), qui produisit des voitures de course légales pour un usage quotidien comme la Fire Am et la Cheverra (des Trans Am et Camaro dopées aux stéroïdes).
Pour la saison 1983, il réfléchit à une voiture destinée à courir en série Can-Am. Au lieu de dessiner une voiture conventionnelle munie de deux pontons latéraux logeant les tunnels venturi, il imagine le concept inverse : c’est-à-dire de placer l’aile inversée au centre de la voiture et de loger le pilote et le moteur de part et d’autre de cet énorme plancher.
Ainsi, presque tout le dessous de la voiture devenait une aile inversée. Le moteur Chevrolet allait être installé dans le ponton droit (en sens de marche). Toutefois, le V8 était un peu trop large pour s’insérer complètement dans le ponton. Ainsi, il fut incliné sur le côté et un banc de cylindre émergeait à l’extérieur du ponton. C'était déjà bizarre.
L’autre ponton, celui de gauche, allait loger le cockpit du pilote avec son siège, le tableau de bord, le volant, le pédalier et la tringlerie de boîte de vitesses. Adams était convaincu que le puissant effet de sol allait compenser le déséquilibre engendré par l’asymétrie de son design. Il présenta son idée aux dirigeants de la compagnie Escort, le fabriquant de détecteurs de radars pour automobiles, qui, séduits, décidèrent de commanditer le projet un peu fou, lui donnant le nom de VSE Escort.
Dès les premiers essais, les problèmes surgissent. Comme prévu, la voiture produit un puissant effet de sol. Oui, mais, il est beaucoup trop puissant. L’effet de succion est si fort que l’énorme tunnel venturi se déforme, craque et s’écrase au sol ! Des morceaux de la carrosserie cassent sous la contrainte phénoménale. La seule solution est de tout renforcer et solidifier. Ça marche, mais la voiture prend sérieusement de l’embonpoint...
Adams trouve un pilote polyvalent et intéressé à piloter son étrange engin : Milt Minter. Ce dernier découvre vite que la voiture est handicapée par le phénomène de masouinage qui avait frappé la Lotus 80. Le centre de pression, situé sous la voiture, ne cesse de se déplacer selon l’attitude de la voiture. Minter est aussi dérouté par le manque de visibilité et par le fait d’être assis à une extrémité du bolide, ce qui rend les virages à droite difficiles à négocier. De plus, étant assis aussi loin du centre de la voiture, le cockpit est soumis à un effet de pendule pas très amusant. En piste, Minter est si violemment secoué qu’il a du mal à voir la piste et à conserver ses pieds sur les pédales.
Lors de sa première course, disputée sur le circuit de Mosport Park en Ontario, l’Escort se désagrège au fil des tours et des morceaux de carrosserie volent dans toutes les directions. La direction de course n’a d’autre choix que de l’arrêter au drapeau noir après seulement sept tours de piste. Lors de la course suivante à Lime Rock, le moteur incliné explose après 24 tours. Minter, pas vraiment rassuré, décide de quitter l’équipe.
Adams engage alors Walt Bohren qui, courageux ou inconscient, décroche une huitième place à Road America et une 10e position à Sears Point, les deux fois derrière plusieurs voitures de la catégorie deux litres... Seul verdict possible : l’Escort est carrément inconduisible. Elle ne reprit jamais la piste et selon les informations obtenues, elle fut mise à la ferraille.