Gilles Villeneuve a disputé son premier Grand Prix de Formule 1 en Grande-Bretagne le 16 juillet 1977 aux commandes d’une McLaren. Si le Québécois n’avait pas été victime d’une jauge défaillante, il aurait très certainement terminé cette course dans les points [seuls les six premiers à l’arrivée comptaient des points à cette époque].
Revivons ce week-end un peu fou qui a débuté quelques jours avant la course par la visite de Villeneuve des installations de l’écurie McLaren en compagnie du directeur général, Teddy Mayer. Villeneuve, qui faisait alors partie du Marlboro World Championship Team et qui était sous contrat avec McLaren, a été inscrit au Grand Prix de Grande-Bretagne à Silverstone sous les couleurs de l’écurie Team Marlboro McLaren.
Si un commanditaire était disposé à payer la facture, McLaren était prête à engager une troisième voiture pour initier une recrue à la F1. « À cette époque, j’étais responsable de l’assemblage et du déverminage des nouvelles voitures, en plus de m’occuper de faire rouler la troisième voiture quand c’était requis en compagnie de Stevie Bun et John Hornby » m’a raconté Leo Wybrott, ancien mécanicien de McLaren et retraité dans son Australie natale, il y a quelques années de cela.
« À Silverstone en 1977, nos pilotes réguliers, James Hunt et Jochen Mass, étaient aux commandes de leurs M26 habituelles. Nous avons préparé une M23 pour Villeneuve. Il s’agissait du châssis No. 8-2 ; la M23 la plus récente que nous ayons fabriquée à ce moment-là. »
Jeudi avant la course, Villeneuve, comme 12 autres inscrits supplémentaires, doivent participer à une séance de pré-qualification, car le nombre de participants est trop élevé. Seuls les sept plus rapides peuvent poursuivre le week-end. En dépit de ses tête-à-queue, Villeneuve inscrit le chrono le plus rapide de cette séance avec un temps de 1’19”48, juste devant son nouvel ami, Patrick Tambay qui effectue lui-aussi des débuts aux commandes d'une Ensign.
« Dès qu’il a pris le volant de la voiture, on a constaté son incroyable confiance en ses possibilités et son habilité naturelle. Il a immédiatement été rapide. Oui, il a effectué plusieurs tête-à-queue, cinq je crois, mais il a toujours ramené la voiture en un morceau, sans l’endommager. Gilles a ensuite discuté du comportement de la voiture et nous avons procédé à certains changements. En qualification, il a roulé de plus en plus vite. À un certain moment, il était le 4e ou le 5e plus rapide. Toutefois, il n’avait pas droit aux pneus tendres Goodyear et il s’est finalement qualifié au 9e rang » ajoute Wybrott.
Dans le clan McLaren, Hunt a réalisé la pole position en 1’18”490, Villeneuve s’est classé 9e en 1’19”320 tandis que Mass était 11e en 1’19”550. Teddy Mayer, qui s’occupait de la M26 de Hunt, vient même voir Wybrott pour savoir quels étaient les réglages de la “vieille” M23 de Villeneuve...
« C’était un plaisir de travailler avec lui [Villeneuve]. Il restait avec nous tous les soirs. Il tenait à comprendre le fonctionnement de la voiture. Il nous posait des tas de questions. Il était réellement intéressé à mieux comprendre le fonctionnement de sa nouvelle voiture. Son épouse Joann était un ange. Elle nous préparait à manger et s’occupait bien de nous. Ce fut formidable et rafraîchissant de les avoir à nos côtés » raconte Wybrott.
En course, après avoir connu un bon départ, Villeneuve remonte en 7e place, mais perd quelques positions et décide finalement de s’arrêter aux puits au 11e tour sans prévenir l’équipe.
« J’étais posté à l’autre bout de la ligne des puits pour lui montrer le panneau. Je l’ai vu entrer dans les puits et il est passé juste devant moi. Mais son stand était à l’autre bout des puits. J’ai dû alors courir à toute vitesse pour savoir pourquoi il s’arrêtait » relate l’Australien.
« Gilles a coupé le moteur. L’eau du circuit de refroidissement a soudainement cessé de circuler et s’est immédiatement mise à bouillir et à s’échapper par le tuyau d’évacuation. Gilles a pointé l’aiguille de la jauge de température d’eau à Stevie Bunn. Elle était dans le rouge. Gilles a cru que le moteur surchauffait et allait casser et c’est pour cette raison qu’il s’est arrêté. Quand Stevie a vu toute cette eau couler par terre, il a cru que le moteur avait explosé.
« Je suis finalement arrivé à sa voiture. Gilles, qui avait dégrafé son harnais, m’a montré l’aiguille dans le rouge. Je lui ai crié que ces jauges Smith n’étaient pas précises et qu’elles faisaient souvent défaut. Il devait se fier à la jauge de pression de l’huile et non pas à celle de la température d’eau. Nous avons vite ajouté de l’eau dans le système de refroidissement de sa M23, ragrafé son harnais et démarré le Cosworth. Gilles avait perdu beaucoup de temps. Il a repris la course en 21e position. Il a poussé très fort et a terminé en 11e place à deux tours du gagnant, ce qui était assez exceptionnel. »
Quelques minutes plus tard, tout le monde dans le paddock parlait de ce Gilles Villeneuve et de son exploit. En Italie, un homme âgé qui habitait Maranello venait aussi de remarquer ce Québécois...