Dans la culture américaine, le NASCAR occupe une grande place, surtout chez les fans qui suivent ce sport depuis deux ou trois générations. Statistiquement, bien que des courses de stock-car sont organisées partout, c’est une discipline qui plaît davantage aux gens habitant dans le sud du pays. 40% des fans viennent des états du sud, états qui votent majoritairement pour le parti républicain, et seulement 20% des spectateurs font partie d’un groupe minoritaire.
Une étude a démontré récemment que presque 90% des contributions politiques des groupes affiliés à NASCAR ont été faites au parti républicain, ce qui confirme que le parti de droite a une relation de longue date avec la grande organisation de stock-car.
Petite chronologie rapide : le 4 juillet 1984, le président républicain Ronald Reagan devient le premier président à assister à une course de NASCAR. En 2008, Joe Gibbs, propriétaire d’une écurie, donne un discours à la Republican National Convention. En 2010, le gouverneur du Texas, Rick Perry, commandite la voiture de l’ex-champion Bobby Labonte. Un lien vers sa campagne électorale est au cœur de sa livrée, au prix de 250 000$.
D’autres exemples ? En 2016, le pilote Reed Sorenson pilotait une voiture portant les couleurs et le slogan de Donald Trump lors de sa première campagne, le désormais célèbre "Make America Great Again". Cette voiture qui n’était pas passée inaperçue, mais le fait qu’elle soit engagée en course n’avait pas non plus fait de tollé, venant ainsi démontrait que la politique est bien ancrée dans le monde de NASCAR, à où les pilotes sont bien souvent encouragés à montrer leurs affiliations politiques. Cela semblerait inimaginable dans une série canadienne, et encore plus en Europe ou en Asie, mais au sein de NASCAR, cela n’a jamais tant choqué.
Mais revenons à 2020, et au mouvement BLM (Black Lives Matter) qui a créé une vague à travers le monde. En NASCAR, Bubba Wallace s’est retrouvé être l’acteur principal d’un débat beaucoup plus grand que ses actions en piste. En effet, après une demande du pilote à la série NASCAR, le drapeau confédéré a été banni des événements.
Ce drapeau représentait les états du sud lors de la guerre civile américaine dans les années 1860. Quand la guerre a pris fin, le drapeau confédéré est tout de même resté un signe représentatif des états du sud. Toutefois, au fil du temps, nombreuses sont les personnes à avoir pointé du doigt le fait qu’il avait aussi une connotation raciste, alors que les états du sud prônaient entre autres l’esclavage. Pourtant, jusqu’à tout récemment, il n’était pas rare d’entrevoir ces drapeaux aux épreuves présentées dans le sud des États-Unis, ce qui ne contrariait nullement NASCAR.
Après le mouvement BLM et le retrait du drapeau confédéré, la série tente maintenant de se dissocier de la politique. Et ce ne sera pas facile ! Car si en théorie, personne ne remet en cause la lutte contre le racisme, l’organisme a d’ores et déjà reçu une réponse que l’on peut qualifier de mitigée des fans face au retrait du drapeau confédéré. Certains ont été plus cinglants, se disant profondément choqués par cette action.
Le 21 juin, soit 10 jours après l’annonce de NASCAR, quelqu’un a nolisé un avion pour faire défiler au-dessus du Talladega Superspeedway le fameux drapeau ! Le 6 juillet, après l’incident de la corde trouvée dans le garage de Bubba Wallace, qui s’est avérée n’être rien de plus qu’une corde pour aider à baisser la porte de garage installée par une équipe l’automne dernier, le président Donald Trump a tweeté à Bubba Wallace de s’excuser publiquement pour avoir créé cet élément marketing !
Le débat politique est donc lancé. En NASCAR, cela touche le racisme et la pertinence d’utiliser les courses de la série pour des messages politiques; en Formule 1 les messages politiques sont en principe interdits mais la polémique n’en a pas moins enflé lorsque Lewis Hamilton (Mercedes) a commenté le refus de certains de ses collègues pilotes de s’agenouiller pendant l’hymne national lors du Grand Prix d’Autriche.
Qu’on le veuille ou non, la politique a toujours été omni présente dans le sport. On peut sans doute le regretter mais maintenant plus que jamais, il semble que chaque action, chaque parole d’un pilote pourrait être perçue comme une prise de position. Hamilton l’a d’ailleurs invoqué à nos collègues de Sky Sports F1 : « certains pilotes ne veulent pas supporter le mouvement "Black Lives Matter" mais ils soutiennent le mouvement antiracisme. J’ai précisé que je ne supporte par le côté politique du mouvement, mais plutôt le côté droits de l’homme ». Bien qu’Hamilton apporte ces précisions, il est parfois difficile de dissocier l’un de l’autre.
Pour les acteurs du sport automobile, il faut désormais faire très attention à ses paroles publiques. La solution est-elle d’interdire tout message ou lien avec la politique dans le sport ? Cela semble impossible, d’autant que les politiciens ont bien compris l’importance d’un événement public de grande ampleur comme le sport automobile est capable d’en présenter.
Nous avons longuement abordé ici, depuis le premier volet de ce sujet, la scène internationale, mais au Québec aussi, les politiciens se sont parfois servis du sport automobile pour véhiculer des messages ou simplement se montrer sous un jour qu’ils veulent sympathique. Souvenons-nous du Grand Prix de Trois-Rivières 2018 où le Premier ministre du Québec de l’époque, Philippe Couillard, était venu remettre les trophées des vainqueurs en Coupe Nissan Micra tandis que l’un de ses rivaux politiques, le candidat du parti Québec Solidaire Gabriel Nadeau-Dubois déambulait dans les paddocks en se faisant photographier avec le public et des pilotes.
Cette présence d’un politicien d’un parti de gauche très affirmée était apparue pour le moins curieuse à plusieurs observateurs quand on constate que le message de Québec Solidaire appelle à l’interdiction de la vente des voitures à essence d’ici 2030 ! N’était-ce pas hypocrite de la part de ce parti d’envoyer un député serrer des mains, se faire prendre en photos avec des pilotes de véhicules que son parti veut abolir ?
Le sport automobile ne devrait tout simplement pas être une vitrine politique. Mais lorsque des acteurs de ce sport, les pilotes tout particulièrement, utilisent leur voix pour véhiculer des messages politiques tandis que d’autres sont bien contents de recevoir la commandite d’un politicien en campagne pour financer une partie de leur saison de course, comment faire pour endiguer le phénomène ? Et le veut-on vraiment ? Ce sont des questions difficiles alors que nous sommes clairement dans une révolution sociale.
Revenons brièvement au drapeau confédéré : a-t-il sa place à des événements de course ? Probablement pas, le racisme n’a pas lieu d’être et un signe flagrant comme celui-là devrait être banni des événements publics… mais alors nous tombons aussi dans un autre débat, celui de la liberté d’expression !
Aujourd’hui, il semble évident qu’il n’y a pas de réponses claires à toutes ces questions et que les organismes dirigeants le sport automobile affichent un réel malaise à légiférer, ou pas, ces dossiers. Chose certaine, nous assistons tout de même à un changement historique. On ne peut rester indifférent à l’effort de la communauté des séries reines telles NASCAR ou la Formule 1. Nous vous laissons sur les images du peloton de la série NASCAR Cup marchant en solidarité avec Bubba Wallace…