Deux pilotes méritaient de gagner ce premier Grand Prix du Canada présenté à Montréal en 1978. D’abord Gilles Villeneuve, pour son audace, son sens de l’attaque et sa lucidité durant la course. Mais aussi Jean-Pierre Jarier, auteur de la pole position, et qui filait facilement vers sa première victoire en Formule 1.
Jean-Pierre Jarier, sympathique pilote français, n’a pas connu la carrière qu’il méritait. Il a disputé 132 Grands Prix de F1 durant sa carrière sans en gagner un seul.
Champion de Formule 2 et excellent pilote d’endurance, Jarier, surnommé “godasse de plomb” pour sa façon indélicate d’enfoncer l’accélérateur, a été empêché d’être recruté par Ferrari pour la saison 1974, car Max Mosley, son patron chez March, exigeait qu’Enzo Ferrari rachète son contrat, ce que le Maître de Maranello a refusé de faire.
Par la suite, Jarier a dû se contenter de piloter pour deux petites écuries de F1, Shadow et ATS, sans grands succès. Sa grande chance fut d’être appelé par Colin Chapman fin 1978 pour remplacer Ronnie Peterson qui venait de perdre la vie dans le terrible crash survenu à Monza.
Lors de l’avant-dernier Grand Prix de la saison à Watkins Glen, Jarier roule en troisième place au volant de sa Lotus 79 No. 55 quand il tombe en panne d’essence à seulement trois tours et demi de l’arrivée.
Au Grand Prix du Canada à Montréal, contre toute attente, Jarier installe sa Lotus noire en pole position ! On connaît la suite : son abandon survenu au 51e tour alors qu’il menait la course permit à Gilles Villeneuve de décrocher sa première victoire.
« À cette époque, on était 30 ou 40 dans une équipe de F1. Maintenant, ils sont plus de 400. Les voitures étaient nettement moins fiables. On était 26 à prendre le départ, et on finissait à six ou sept » nous a raconté Jarier il y a de cela quelques années.
« C’était un drôle de sport. Les voitures ne possédaient pas de direction assistée et on changeait les vitesses avec un levier en H. En plein virage, il fallait tenir le volant d’une main et changer les rapports de l’autre. À cause des vibrations, on finissait les courses avec les mains en sang. Pour freiner, il fallait appuyer comme un malade sur la pédale, on se tordait le dos. Si la voiture tapait dans un rail, elle prenait feu. En cas d’impact, les châssis en aluminium s’écrasaient comme du papier. Si on avait un accident, on se cassait les jambes et les chevilles. Et nous, on attaquait comme si on était en sécurité dans ces voitures... » d’ajouter Jarier.
Puis, le Français nous a raconté son Grand Prix du Canada en 1978. « J’ai conduit une super voiture dans une super équipe avec Colin Chapman, un type vraiment exceptionnel avec qui les briefings étaient de très bonne qualité. J’étais le coéquipier de Mario Andretti qui venait d’être sacré Champion du monde. J’ai fait de bons essais même si j’ai trouvé la voiture un peu trop lourde. Elle était peut-être aussi un peu fragile, mais en tout cas performante dans certaines conditions. J’ai fait la pole et ça m’a fait super plaisir. »
Jarier a toutefois connu une déception le matin de la course... « Chapman m’avait fait cadeau d’un superbe blouson de l’écurie et quand je suis rentré au stand [une sorte de cabane de chantier] le dimanche matin, je me suis rendu compte qu’on me l’avait fauché... »
Après un tour de formation, Jarier installe sa Lotus 79 en première place sur la grille de départ. « C’est Pierre Elliott Trudeau qui donnait le départ. Il est venu me voir et on a discuté un peu. J’ai connu un super départ et [Jody] Scheckter [qualifié deuxième sur une Wolf] m’a bien aidé en retenant les gars derrière moi [Gilles Villeneuve et Alan Jones].
« J’ai bouclé le premier tour avec quatre secondes d’avance. À un certain moment, j’ai collé un tour à Andretti [qui s’était accroché avec John Watson en début de course et avait perdu beaucoup de temps]. Quand je l’ai doublé, je peux t’assurer qu’il n’a pas apprécié ! Il n’a pas aimé ça du tout ! Mais moi, je n’étais que de passage dans cette écurie... »
Jarier croyait bien rouler vers sa première victoire en F1. « Tout allait bien jusqu’au moment où les plaquettes de freins arrière sont devenues complètement usées. Elles n’étaient pas assez épaisses pour disputer ce Grand Prix. Ça a fait surchauffer le liquide de frein et fait chuter la pression. La pédale de frein est allée au plancher. J’ai dû abandonner et cela a offert la victoire à Gilles Villeneuve. »
Une semaine après le Grand Prix du Canada, Jarier était sur le circuit de Riverside aux États-Unis pour y disputer la 10e et dernière manche du Challenge Can-Am. Après des qualifications ratées, Jarier a dû abandonner la course après avoir couvert juste un tour. La transmission de sa Shadow venait de casser. Décidément, ce pauvre Jarier a vraiment manqué de chance durant sa carrière.