Les courses virtuelles qui ont remplacé les véritables épreuves sur piste ce printemps ne sont pas sans conséquences sur la carrière des pilotes professionnelles. Après Kyle Larson le mois dernier, qui a perdu tous ses contrats en NASCAR pour un mot raciste prononcé durant une épreuve en ligne, c'est au tour cette semaine de Daniel Abt de perdre son travail, alors qu’Audi Sport a annoncé le licenciement immédiat du pilote allemand de Formule E. Cette suspension vient après une controverse survenue lors de la cinquième manche du ABB Esport Formula E Race At Home Challenge samedi dernier, un championnat virtuel mis en place par la Formule E dans le but d’amasser des fonds pour l'UNICEF.
Le drame : Abt, pilote officiel Audi Sport, a cédé sa place à un jeune pilote spécialiste des courses sur simulateur pour l'épreuve virtuelle sur le circuit de Formule E de Berlin, mais sans en informer personne apparemment. Lorenz Hoerzing, un spécialiste des courses en ligne âgé de 18 ans, a non seulement couru sous son nom, mais en utilisant aussi son casque et sa combinaison. Les autres pilotes de Formule E ont été surpris de voir "Daniel Abt" se qualifier en deuxième position et terminer troisième la course alors que le vrai pilote n’avait pas inscrit de points lors des quatre manches précédentes en ligne.
Après la course, une enquête a montré que l’adresse IP de Daniel Abt venait plutôt d’Autriche, et que c’était en fait celle de Hoerzing. Abt s'est justifié en parlant d'une blague qui est allée trop loin, qu'il n'avait jamais voulu tricher et avait d'ailleurs informé certains de ses adversaires avant même le départ de la course. Une blague peut-être, mais de mauvais goût assurément et aux conséquences désastreuses pour le pilote allemand, qui perd ainsi sa place en Formule E.
Mais est-ce que cela valait une telle sanction ? On constate que pour beaucoup de pilotes, ces courses en ligne, souvent bien éloignées de la réalité, sont un jeu. Le cas du Grand Prix de Monaco virtuel, qui a viré en véritable derby de démolition le week-end dernier, le rappelle. Mais pour les commanditaires et les manufacturiers impliqués dans ces compétitions en ligne, c'est du sérieux. « L'intégrité, la transparence et le respect constant des règles sont des priorités absolues pour Audi. Cela s'applique à toutes les activités auxquelles le manufacturier participe, sans exception. Pour cette raison, Audi Sport a décidé de mettre fin à sa collaboration avec Daniel Abt » indique-t-on du côté d’Audi Sport pour justifier le licenciement de son pilote.
Hier, Daniel Abt a mis en ligne une vidéo (voir ci-dessous), en allemand sous-titrée en anglais, expliquant cette blague qui a tourné au vinaigre. Pour lui, ces courses sur simulateur initiées par les promoteurs de la Formule E ont un simple but : faire plaisir aux fans tout en ramassant des fonds pour l'UNICEF. « Je trouvais que ça serait une drôle d’histoire d’avoir ce pilote de simulateur courir pour moi, puis de le révéler par la suite » souligne-t-il notamment dans sa vidéo.
Daniel Abt a été appelé à donner 10 000 euros (15 000$ CDN) à une fondation, ce qu’il a fait sans hésiter. Puis, la suspension d'abord, le licenciement ensuite, sont arrivés. Dans sa vidéo, le désormais ex-pilote Audi conclut en affirmant qu’il assume sa blague, est désolé de la tournure des événements, avoue que cela n’était pas réfléchi, mais qu’il ne souhaitait pas du tout tricher en faisant cela. Il prendra du temps pour lui-même, mais sera de retour en sport automobile affirme-t-il.
Si des situations comme cela viennent ruiner la carrière de pilotes, d'autres voient désormais les courses en ligne comme dangereuses pour leur image. Triste pour les concepteurs de ces compétitions virtuelles qui ont mis des années à faire reconnaître leur spécialité.
Sur Twitter, quelques pilotes de Formule E ont ainsi réagi : « c’est un jeu qui devrait être pris au sérieux, mais cela reste un JEU. Avec tous ces pilotes qui font des accidents volontairement, cela leur ferait assurément perdre leur licence en temps réel. Je me suis fait sortir de presque toutes les épreuves par des conduites antisportives de pilotes qui m’utilisaient comme frein » a indiqué Jean-Éric Vergne, double champion en titre de la Formule E. Son coéquipier au sein de l'équipe DS Techeetah et actuel meneur du championnat 2020 (la saison est arrêtée depuis février), Antonio Félix da Costa, a pour sa part lancé qu’il ne ferait plus de diffusion en direct de courses sur simulateur.
De son côté, Nicky Catsburg, pilote d'Endurance très actif dans les courses en ligne, avait précisé avant qu’Audi Sport annonce le licenciement de Daniel Abt, mais après que le scandale ait éclaté : « nous prenons ces courses virtuelles au sérieux, mais nous sommes également là pour avoir du plaisir. Nous nous amusons, nous plaisantons. Nous avons un clavardage en direct sur WhatsApp de plus de 100 pilotes et nous parlons des courses virtuelles ». Il précise : « cette situation (avec Daniel Abt) me fait peur des courses sur simulateur. Ça me rend malade de voir les réactions envers lui, qui tentait juste de faire quelque chose de drôle pour sa chaîne YouTube. Ça me fait réfléchir sur ce que je fais en ligne. Ces courses me bénéficient d’une certaine façon, mais ce n’est pas comme si je devais absolument les faire. Dès lors, de voir qu'elles pourraient mettre ma carrière en jeu, je me demande si la chose la plus intelligente à faire ».
Rappelons qu'outre Kyle Larson et maintenant Daniel Abt, le pilote IndyCar et lauréat des 500 milles d'Indianapolis 2019 Simon Pagenaud a vu les foudres de la critique populaire s'abattre sur lui lors d'une course en ligne où il avait sorti le pilote de F1 Lando Norris. le même Norris qui a fait la même manoeuvre à Vergne lors du Grand Prix de Monaco virtuel dimanche dernier, reprenant, mot pour mot, le commentaire que Pagenaud avait publié en guise d'excuse deux semaines plus tôt !
Entre des actions répréhensibles d'un côté et des commanditaires et manufacturiers qui prennent cela tellement au sérieux de l'autre, cela démontre que les courses en ligne ne sont pas sans conséquences. Plusieurs pilotes professionnels risquent désormais de les bouder, ce qui est somme toute regrettable... mais compréhensible !