Suite à sa victoire au Grand Prix de San Marino le 1er mai 1983, le Français Patrick Tambay s’est exclamé : « Je vous assure que ce n’est pas moi qui a piloté cette voiture ! »
Patrick Tambay sait très bien que s’il est revenu courir en Formule 1, c’est bien à cause de la disparition tragique de son ami Gilles Villeneuve. Le Français avait connu une saison 1981 désastreuse aux commandes d’une Theodore, puis d’une Ligier. Désabusé, il avait tiré un trait sur la F1, mais un appel d’Enzo Ferrari, lui demandant s’il était intéressé à prendre le volant de la 126 C2 No. 27 du Québécois, l’avait décidé à effectuer un retour en Grand Prix.
Patrick Tambay était un grand ami de Gilles Villeneuve. Ils se sont connus à l’époque de la Formule Atlantique et de la Can-Am ici en Amérique du Nord. Les deux ont débuté en F1 presqu’en même temps, au Grand Prix de Grande-Bretagne de 1977, même si le Français avait tenté de se qualifier en France deux semaines auparavant sur une Surtees TS19.
Ayant accepté l’offre faite par Enzo Ferrari et désormais membre de la prestigieuse Scuderia, Tambay récolte sa première victoire en F1 en Allemagne en 1982. Sa seconde victoire, terriblement émouvante, viendra la saison suivante lors de la quatrième épreuve de la saison, le Grand Prix de San Marino présenté sur le circuit d’Imola. Voici comment.
À cette occasion, René Arnoux, le coéquipier de Tambay, installe sa Ferrari en pole position (1’31”238) devant la Brabham BT52-BMW de Nelson Piquet (1’31”964), la Ferrari de Tambay (1’31”967) et la Renault RE40 d’Alain Prost Renault (1’32”138).
Quand Tambay gare sa voiture à son emplacement sur la grille de départ, il y découvre un petit drapeau canadien placé là par un fan, en mémoire de Gilles.
Arnoux mène durant six tours et se fait doubler par Riccado Patrese sur une Brabham-BMW, partit cinquième. Ce dernier perd beaucoup de temps lors de son ravitaillement en carburant et reprend la piste en seconde position, derrière Tambay. Le Français connaît des ennuis, car son moteur cafouille à chaque passage dans Tamburello, ce qui permet à Patrese de le rattraper.
Au 55e tour, Patrese parvient à doubler Tambay, mais quelques virages plus tard, l’Italien rate un point de corde et sa Brabham glisse hors trajectoire. Sur cette piste remplie de gravillons, l’adhérence est nulle et la belle Brabham va se fracasser tout droit dans un muret de pneus ! Tambay se retrouve premier et cinq tours plus tard, il récolte la victoire devant une foule en délire.
La Ferrari a avalé les 240 litres d’essence que contenait son réservoir et le moteur V6 turbo devient muet un demi-tour après avoir franchi la ligne d’arrivée. Voyant la Ferrari immobilisée, les fans, hyper excités, escaladent les grillages et courent sur la piste en direction du bolide rouge. Ils extirpent Tambay hors du cockpit et le portent en triomphe. Tambay est ballotté dans tous les sens et est sur le point d'être étouffé. Heureusement, les organisateurs envoient finalement une voiture de secours pour le rapatrier dans les puits et qu’il puisse grimper sur le podium.
« J’étais terrifié. J'ai vu les fans passer par-dessus les grillages et courir vers moi. Ils m’ont extirpé hors de la voiture et m’ont fait sauter dans les airs » raconte Tambay dans son livre “The Ferrari Years” dans lequel il relate ses deux saisons passées à Maranello.
« Un fan a tenté d’arracher mon casque tandis qu’un autre a volé mes gants. J’ai même cru qu’ils allaient arracher ma combinaison ! Une moto s’est approchée de moi pour me ramener dans les puits, mais les fans m’ont empêché de grimper dessus. Puis, j’ai tenté, sans succès, de monter à bord d’une ambulance. Finalement, c’est une voiture du circuit qui m’a pris à bord. Ça s’est déroulé comme lors d’un enlèvement ! »
Tambay a ensuite affirmé qu’aussi bizarre cela pouvait paraître, il ne s’était pas senti seul à bord de la Ferrari. « C'est le plus beau jour de ma vie de pilote. J’ai disputé cette course comme dans un rêve. Je ne sais pas si vous croyez aux phénomènes métaphysiques, mais je vous assure que ce n’est pas moi qui a piloté cette voiture. J’ai eu l’impression que Gilles était à mes côtés ; un peu comme si c’était lui qui faisait tout le travail. Je suis tellement heureux d’avoir gagné ici avec le numéro 27. C’est le plus bel hommage que je pouvais lui rendre. »