Le sympathique Bertrand Godin, qui a été sacré deux fois vice-champion de Formule Ford en France, qui a récolté deux victoires en Formule Atlantique et qui a aussi couru en Indy Lights et en Formule 3000, remportait, en cette journée de 1992, le premier Volant Mygale-Maxauto présenté sur le circuit de Linas-Monthléry en France.
Après des débuts en karting au circuit de Mont St-Hilaire, Godin monte en Formule 125 en 1989 (des karts Kali avec des moteurs TM munis de boîtes à six rapports) où il se frotte, entre autres, à un certain Alexandre Tagliani.
Après avoir récolté plusieurs victoires dans cette catégorie, Godin songe à l’automobile. La prestigieuse école de pilotage Elf-Winfield, basée au circuit Paul-Ricard en France, était représentée ici en Amérique du Nord par John G. Peterson de Franam Racing. Le vainqueur de son concours, disputé chaque année, se voyait offrir un volant tout payé en Championnat de France de Formule Renault. Pour Godin, sans commanditaire, c’était la meilleure façon de courir en monoplace. Il emprunte donc l’argent nécessaire et s’inscrit à l’école Elf-Winfield.
À l’automne 1991, Godin suit les cours de pilotage et se rend jusqu’en finale où il échoue de justesse face à l’Américain Jason Engle. « En finale, nous faisions tous cinq tours de piste. Je suis passé en dernier. J’ai conduit la voiture chaussée de pneus pluie qui partaient en lambeaux alors que la piste était sèche. J’accusais un retard de seulement 0,98” au bout de mes cinq tours de piste. Malheureusement, les juges ne nous ont pas fait rouler une deuxième fois sur le sec pour en avoir le cœur net. Engle a été déclaré vainqueur... » nous a récemment raconté Godin. [Le prix était attribué au pilote qui avait réalisé le tour le plus rapide et pris le moins de temps à effectuer ses cinq tours lancés.]
Godin, dépité, revient au Québec. En janvier 1992, journaliste au magazine Formula, j’apprends que le constructeur de voitures de course Mygale va tenir son propre Volant avec, à la clé, une saison en Championnat de France de Formule Ford ; un prix d’une valeur de 150 000$. Le propriétaire de Mygale, Bertrand Decoster, vient de dénicher un commanditaire majeur pour son école de pilotage et son écurie de course : Maxauto, une chaîne de magasins spécialisés dans les accessoires pour l’automobile.
C’est une deuxième chance unique qui s’offre à Godin que je contacte immédiatement. Je rejoins aussi Decoster que je connaissais par ses parents qui possédaient un circuit de karting à Lezoux en France. Je lui explique que Godin n’a pas assez d’argent et de temps pour refaire les cours de pilotage. « Il doit passer directement en sélection des finalistes » lui dis-je. Il accepte du bout des lèvres. « Mouais, mais il ne faut absolument pas que ça se sache... » me répond-il.
« Après ma deuxième place au Volant Elf, j’étais découragé. Mes grands-parents avaient mis de l’argent de côté pour moi, et je les ai convaincus qu’ils devaient me le confier pour participer à ce deuxième concours » poursuit Godin qui devait alors effectuer un autre coûteux voyage en France, cette fois à Paris, car l’école de pilotage était basée à l’Autodrome de Linas-Monthléry au sud de la capitale.
« J’ai pris l’avion en classe super économique et je suis arrivé à un hôtel minable situé pas trop loin du circuit. Il pleuvait et il faisait sombre. N’ayant pas d’argent pour me payer un taxi, j’ai marché jusqu’au circuit, sous la pluie, traînant mon sac d’affaires de course. Il pleuvait tellement à un moment que j’ai mis mon casque sur ma tête. J’ai pénétré dans l’enceinte du circuit. On aurait dit une scène de film. En marchant, je voyais défiler les stèles commémorant les grands pilotes morts sur ce circuit.
« Je suis finalement arrivé dans le paddock et j’ai vite enfilé ma combinaison aux couleurs d'Elf-Winfield. On m’a sanglé dans la voiture de Formule Ford et j’ai effectué mes premiers tours de piste. C’était un circuit à l’ancienne, avec un énorme virage en banking très incliné, dépourvu de rails de sécurité, très dangereux. C’est comme s’il était figé en 1928 ! »
Godin est sélectionné et survole la demi-finale, roulant presque deux secondes plus vite que son plus proche rival au bout des cinq tours de piste. Il revient au Québec, puis retourne en France quelques semaines plus tard pour disputer la pré-finale et la grande finale. En pré-finale, il souffre du décalage horaire et n’est pas en grande forme.
« Après la demi-finale du Volant Elf-Winfield où j’avais été l’un des plus rapides, j’étais trop confiant. J’avais pris ça à la légère. Ma seconde place a été une belle et bonne leçon d’humilité. Ç’a aussi été une excellente préparation à la finale du volant Maxauto » précise Godin.
« Cette fois, c’était vraiment “do-or-die” pour moi ; il n’y avait pas de lendemain. Après mon passage en pré-finale, un monsieur que je ne connaissais pas m’a fait un sourire. Il s’agissait de Daniel Boismenu, le directeur du marketing chez Maxauto. Le Volant, c’était son idée. Je crois qu’il voulait que je gagne ce concours.
« Pour la grande finale, j’ai décidé de passer en dernier, après tous les autres. J’étais hyper motivé, mais en même temps, je me suis dit que je devais profiter de ces instants magiques. C’était peut-être la dernière fois que j’allais piloter une voiture de course. Il fallait que je goûte intensément chaque moment. J’ai tout donné. J’ai poussé au maximum. Mon tour le plus rapide a été plus vite de 7/10e de seconde que celui de mon plus proche rival. J’ai gagné le Volant. J’étais vraiment heureux, aux anges. Je réalisais mon rêve. Des gens ont joué un rôle-clé dans cette période de ma carrière comme Daniel Boismenu, Gilles Bourcier, Stéphane Gabriele et plusieurs autres. Je les remercie très sincèrement. »
Au printemps 1993, sur le circuit Paul-Armagnac de Nogaro, Bertrand Godin a procuré à la marque Mygale sa première victoire en sport automobile. L’été dernier, au Grand Prix de Trois-Rivières, Godin a triomphé en Formule 1600 Canada au volant d’une... Mygale encore une fois !