Effectuons aujourd’hui un retour en 1963 quand Peter Broeker, homme d’affaires montréalais, a conçu, fabriqué et disputé un Grand Prix avec la première voiture de Formule 1 canadienne : la Stebro.
Le plus incroyable de cette affaire est que la Stebro était en réalité une voiture de Formule Junior dans laquelle on avait greffé un moteur Ford quatre cylindres de “F1”. En exagérant un peu, c’est un peu comme si on installait un moteur de Formule Atlantique (de plus de 300 chevaux) dans un châssis de F1600 actuel, prévu pour environ 115 chevaux...
Peu après la fin de la Seconde Guerre mondiale, la famille Broeker, de descendance germano-autrichienne, émigre au Canada. Durant les années 50, un de leurs fils, Peter, déménage à Montréal où il découvre des gens passionnés par le sport automobile. En 1956, il ouvre, avec son partenaire d’affaires, John Stephens, un garage qui porte le nom de Stebro.
Lui et ses mécaniciens entretiennent et modifient des voitures sport et décident un jour de fabriquer à Pointe-Claire leurs échappements de rechange haute performance en acier inoxydable ; les fameux échappements Stebro.
En 1960, dans son garage de la rue McGill, Broeker produit la Mark I ; une petite monoplace de catégorie Formule Junior dotée d’un moteur d’un litre. Viendront ensuite les Mark II et III avant que Broeker conçoive et fabrique la Mark IV durant l’hiver 1962/63.
Cette Mark IV possède un châssis tubulaire fait de chrome-molybdène (chromoly en anglais), est habillée d’une carrosserie en aluminium et est propulsée par un moteur Ford FJ et une transmission Hewland à cinq rapports.
La suspension est toute simple avec deux triangles superposés actionnant un combiné ressort/amortisseur, les freins à disques proviennent de chez Girling et le réservoir d’essence possède une contenance permettant à la MK IV de disputer un Grand Prix.
Broeker décide de fabriquer deux exemplaires de la MK IV et de les faire rouler en catégorie Formule Junior avec ses pilotes, John Cannon et Ernie DeVos. Les MK IV décrochent de bons résultats et Broeker décide de les modifier en F1 pour disputer le Grand Prix des États-Unis à Watkins Glen. À cette époque, la F1 avait adopté la formule des petits moteurs de 1,5 litre. Broker commande alors des moteurs Ford FJ modifiés et préparés par Martin au Royaume-Uni (c’était avant la création de Cosworth).
Malheureusement, ces moteurs sont un désastre mécanique et Broeker ne les reçoit jamais. Puisqu’il doit partir pour l’état de New York et y disputer le Grand Prix, il décide de se préparer un moteur à l’aide des meilleurs composantes trouvées dans son atelier. Il en résulte un moteur Ford de 1500cc pratiquement stock... Devant cette situation inédite, Ernie DeVos décide de ne pas se rendre aux États-Unis.
Dès le début des essais libres, le moteur crache un joint et vomit toute son huile sur le circuit... Un beau début ! Après réparation, Broeker parvient à parcourir quelques tours de piste en essais libres et participe aux qualifications. Il réalise son tour rapide (un bien grand mot...) en 1’28”6 contre un chrono de 1’13”4 pour Graham Hill sur BRM en pôle position.
Dès le troisième tour de la course, la boîte de vitesses de la Stebro se bloque sur le quatrième rapport. En essayant de ne pas trop nuire aux autres concurrents, Broeker roule à faible allure, mais ne baisse pas les bras. Son meilleur tour en course est réalisé en 1’32”0 contre 1’14”3 pour Jim Clark aux commandes de sa Lotus. La Stebro avait roulé beaucoup plus vite que cela sur le même tracé avec son petit moteur d’un litre de Formule Junior !
En élargissant au maximum ses trajectoires afin de ne pas faire trop peiner son moteur, Broker réussit à croiser l’arrivée en septième place. La Stebro n’a complété que 88 des 110 tours que comptait la course, mais Broeker est bel et bien classé. Ce sera la seule participation de Broeker et de sa Stebro à un Grand Prix de F1.
La saison suivante, la MK IV est modifiée en Formule 2 et court en Europe, sans trop de succès. Par la suite, elle est rapatriée en Amérique du Nord et est munie d’un moteur Lotus Ford à double arbre à cames en tête. Broeker et sa Stebro deviennent presque imbattables, récoltant plus d’une centaine de victoires au cours des trois années suivantes dans les classes Formule Libre et Formule B.
En septembre 1968, Peter Broeker endommage très sévèrement la MK IV lors d’un accident au circuit du Mont-Tremblant. Jeff Bateman de Toronto achète l’épave et la remet en parfait état de marche. En octobre 1988, Bateman gagne les CASC Run-Offs de voitures historiques au Mont-Tremblant à son volant, puis la vend aux enchères.