Il fut une époque durant laquelle les règlements techniques de la Formule 1 étaient, disons, très permissifs et acceptaient à peu près n’importe quoi, ou presque.
Les voitures de F1 étaient visuellement très différentes. On pouvait distinguer du premier coup d’œil une Lotus d’une McLaren, une Ferrari d’une Ligier. Ce n’est (malheureusement) plus le cas.
Certains ingénieurs n’hésitaient pas à innover et à essayer des solutions techniques fort astucieuses. C’est notamment le cas de Gordon Murray, ingénieur sud-africain de grand talent qui fut longtemps le directeur technique de l’écurie Brabham, propriété de Bernie Ecclestone.
Dans le premier tome de son admirable livre “One Formula - 50 Years of Car Design”, Murray explique comment il a conçu, dessiné et fait fabriquer à l’automne 1977 la Brabham BT46-Alfa Romeo à refroidissement de surface. Et ceci, sans personnel ni budget supplémentaire...
Afin de réduire la surface frontale de la voiture et d’améliorer l’aérodynamique (en éliminant les d’entrées d’air et les ouïes), Murray eut l’idée de priver la BT46 de radiateurs conventionnels et de couvrir sa surface de plaques de refroidissement. Ces plaques sont constituées de deux minces feuilles d’aluminium emprisonnant des ailettes de dissipation de chaleur et le tube dans lequel circule le liquide refroidissant.
Cette technique avait été employée, entre autres, sur des avions militaires. Le liquide de refroidissement, que ce soit de l’eau ou de l’huile, ne circulait pas dans des radiateurs, mais à l’intérieur de ces plaques fixées sur la surface de l’avion.
Murray connaissait une entreprise ultra spécialisée qui parvenait à réaliser du brasage par trempage afin de souder les joints de différents alliages ; technique requise pour fabriquer ces fameuses plaques.
« J'ai commencé à faire des calculs thermodynamiques sur la surface des ailettes dont nous aurions besoin pour refroidir l'huile et l'eau et la surface externe. Je crois qu’il nous fallait une surface d’ailettes d'environ 17 000 pouces/carrés [soit 109 677 cm2, ou 10,97 m2] » raconte Murray dans son livre.
Murray et son bras droit, David North, ont fait face à des problèmes complexes, comme celui de l’expansion de l’aluminium qui passait rapidement de la température ambiante à 95 degrés C, ce qui provoquait des déformations de la monocoque, car les plaques en faisaient partie intégrante. Pour résoudre ce problème, les deux ingénieurs décidèrent que chaque écrou riveté dans la monocoque soit un écrou coulissant qui était fait d’un composé semblable au graphite et doté d’un couple de serrage fixe.
« Nous sommes allés tester la voiture à Silverstone » poursuit Murray. « En comparaison à la voiture aux radiateurs conventionnels, le moteur tournait plus vite de 300 tours. Après avoir changé les rapports de la boîte de vitesses, la voiture était plus rapide de 10 milles à l’heure [16 km/h]. La température de l'huile était bonne, mais la température de l'eau ne cessait de grimper ».
Le problème provenait du fait que la couche limite (cette fine couche d’air qui circule très près de la carrosserie) devenait de plus en plus importante au fur et à mesure que l’air glissait vers l’arrière de la voiture. Ainsi, les premières plaques de refroidissement, celles de l'huile et situées à l’avant de la voiture, étaient bien alimentées en air frais. Par contre, dès la troisième rangée, l’air ne passait plus à travers les plaques, d’où cette surchauffe de l’eau.
« Nous avons tenté d’énergiser les flux d’air à l’aide de petits déflecteurs. C’était un peu plus efficace, mais nous produisions alors des turbulences et de la traînée. La première course de la saison approchait [le Grand Prix d’Argentine prévu le 15 janvier 1978] et nous ne pouvions la rater sous peine d’être exclus du championnat » affirme Murray.
Murray, North et les mécaniciens de Brabham travaillèrent alors jour et nuit afin d’intégrer des radiateurs conventionnels sur les BT46. Et cela donna un bon résultat. En Argentine, Niki Lauda termina la course en deuxième place à seulement 13 secondes du vainqueur, Mario Andretti.
Les plaques de refroidissement ne furent jamais revues en F1.