Absent de toute compétition automobile durant 14 ans, le pilote lavallois Yves Barbe a effectué son retour au Rallye Baie-des-Chaleurs, il y a un mois (bilan de cet événement dans l’édition présentement en kiosque du magazine Pole-Position). À 66 ans, avec un jeune co-pilote (Ian Guité) et une Subaru WRX STI préparée par l’écurie championne canadienne 2018 Test Racing, Yves a complété l’événement au 15ème rang toutes-catégories, le 12ème des concurrents inscrits au Championnat canadien et le 9ème au championnat de l’Est canadien.
Pas le résultat escompté pour un ancien multiple champion du Québec ? Oui et non, dirons-nous. Yves s'en explique : « suite à mon retour en compétition active à Baie-des-Chaleurs, j’ai découvert plusieurs petites choses qui diffèrent de mon époque. La belle époque, comme on dit, ou le cahier de notes n’était que des tulipes qui annonçaient les dangers, les changements de trajectoire, les intersections. On appelait ça des rallyes à l’aveugle. Tu pouvais rouler plusieurs kilomètres sans la moindre indication. Donc, l’audace, la témérité, l’anticipation et un flair bien aiguisé accompagné d’une bonne mémoire des routes étaient l’apanage des bons pilotes de rallyes au Canada ». Yves précise au sujet de la différence entre les rallyes du 20ème siècle et ceux d’aujourd’hui, que « il fallait à l'époque un copilote allumé et très concentré pour ne pas s’endormir et appeler les indications au bon moment, avoir une bonne touche sur le terratrip (ordinateur de bord) qui indiquait seulement le kilométrage précis, cumulatif et non cumulatif ».
Mais les choses ont changé. Comme ailleurs dans le monde, les rallyes disputés au Canada sont maintenant à reconnaissances, avec des notes de passage travaillées à l’avance par le pilote et le co-pilote. Pour Barbe, l’apprentissage de ce langage spécifique fut l’aspect le plus délicat : « les notes, j’en avais fait un peu au début des années 2000, mais rien de comparable à aujourd’hui ».
Pour les non-initiés au rallye de performance, petit cours 101 sur les notes : « le copilote fait ses notes avec les appréciations dictées par le pilote, lors des reconnaissances la veille du départ » indique Yves, qui nous donne un exemple concret : « départ de la spéciale de vitesse : le co-pilote annonce 50 (pour 50 mètres) G6 (pour virage à gauche 6), 100 (pour 100 mètres) D4 (pour droite 4) sur G5 (pour gauche 5); ce qui veut dire que la gauche 5 est immédiatement après la droite 4. C’est comme un enchaînement. Et il faut se rappeler que le copilote annonce cela 2 indications d’avance. Donc le pilote doit retenir la première en mémorisant la seconde, lorsqu’entendu. Et ainsi de suite durant toute la spéciale ».
Précisons aussi que les chiffres qui suivent le type de virage représentent l’angle des courbes. Le chiffre 1 annonce donc une épingle serrée ou à angle très prononcé; 2 pour un 90 degrés ou des intersections lentes, 3 pour une courbe serrée où le pilote doit ralentir assez fortement, 4 pour une courbe qui se prend à bonne vitesse, 5 pour une courbe où il faut relâcher un l’accélérateur et enfin 6 où l’on passe à fond. Voilà pour le résumé sans trop de détails de ces chiffres d’indications de courbes.
« Après cela, viennent les infos spécifiques » souligne Yves. « Comme "ne coupe pas" qui veut dire de rester sur la route, ne pas se déporter trop à l’intérieur du virage; ou encore "qui ouvre" ou "qui ferme" en fonction de la sortie du virage. Il y a aussi les "saut sur bosse à fond" qui veulent dire pas de visibilité de l’autre côté de la bosse mais que c’est vers l’avant après celle-ci; et ainsi de suite selon chaque équipage qui a ses propres codes ou appellations dans ses notes ».
On pourrait dire que tout ce système de note s’apprend avant un rallye. Mais c’est davantage l’expérience, au fil des épreuves, qui est primordiale. Celle-ci s’acquiert avec la compétition, ce que Barbe ne pouvait faire, lui qui a pris en main la voiture très peu de temps avant le départ.
Une crevaison l’a retardé dès les premiers instants de cette édition 2019 du Rallye Baie-des-Chaleurs, mais c’est assurément l’assurance dans la lecture des notes qui lui a le plus manqué. « En rallye aujourd’hui, le co-pilote a le nez rivé à son cahier de notes, sans jamais regarder vers l’avant. Il défile ses notes une après l’autre. Son seul point de repère est la sensation que son siège lui transmet après chaque courbe passée. Et la difficulté pour le pilote est de rester concentré sur ces notes annoncées par la mémère à tes côtés ! » souligne Yves, qui précise au sujet de cette dernière expression : « C’est comme si en balade automobile avec votre conjoint, il vous annonçait les courbes, les lumières qui viennent, les arrêts, que ta vitesse est trop lente ou trop élevée, etc. Vous voyez l’image ! Et là, ça se passe à vitesse normale. Mais en rallye de performance, tout arrive alors qu’on est à fond la caisse. Il doit donc y avoir une complicité exemplaire entre les équipiers pour créer cette confiance d’exécution durant l’épreuve. Pas facile ! Ça demande une adaptation longue, sérieuse et homogène. Et ce fut la partie la plus difficile vécue au BDC ».
Ceci étant dit, revenir en compétition au Rallye Baie-des-Chaleurs n’était en soi pas la tâche la plus aisée. Le retour d’Yves Barbe à cette épreuve, est un peu comme demander à un pilote d’IndyCar de reprendre le volant après 14 ans d’absence, sur une voiture différente de son époque, directement en course… et aux 500 milles d’Indianapolis !
Outre les notes, la seconde adaptation de Barbe au BDC était donc la voiture. « Celle-ci fut plus facile, car piloter une voiture de rallye, je savais déjà. Mais elle est plus puissante, nerveuse et brutale que ce que j’avais connu auparavant. Ça devrait s’améliorer avec un peu de pratique » mentionne l’ancien vainqueur du BDC (en 1993).
S’il a aimé l’ambiance de l’événement, un point a toutefois choqué Yves Barbe dans les rallyes d’aujourd’hui : « le règlement du "super rallye" qui permet à un équipage de repartir après un abandon m’a paru absolument incompréhensible. Sans compléter la totalité de la distance du rallye, tu peux aujourd’hui te classer parmi les meneurs, suite à une simple pénalité de temps pour les étapes manquées. C’est comme si tu partais de Montréal pour aller à Québec, et que tu t’arrêtes à Donnacona. Mais tu es quand même arrivé à Québec sur la remorque et tu comptes tes points au championnat ! Il y a des règles qui demanderaient à être révisées. Mais bon, ça c’est de la politique de sport automobile et ce n’est pas intéressant ». Les défenseurs de cette règle soulignent quant à eux qu’elle offre pour avantage de permettre aux spectateurs de voir encore beaucoup de voitures à la fin d’un rallye et, pour les concurrents, la possibilité de réparer et continuer à avoir du plaisir dans une épreuve parfois distante de quelques milliers de kilomètres de chez eux. Le débat entre partisans et opposants de la règle du "super rallye" ne date pas d’hier. Imposée dans les années 2000 en WRC, elle a été reprise par toutes les séries de rallye ou presque depuis.
L’apprentissage et les soucis rencontrés au BDC n’ont toutefois pas dissuadés Yves Barbe de poursuivre l’aventure cette saison. Le Défi et Charlevoix sont dans sa mire. S’il n’a pas voulu entrer dans les détails de sa participation dans Charlevoix en octobre, il confirme toutefois pour le Défi, qui aura lieu les 6 et 7 septembre (programme officiel dans Pole-Position !) : « Je serai de nouveau co-piloté par Ian Guité au Défi. Nous allons améliorer notre travail commencé au BDC. Je serai aux commandes de la superbe Subaru WRX STI 2006 de Test Racing ». Yves Barbe conclut : « je suis resté sur ma faim en Gaspésie et j’ai envie de poursuivre sur cette lancée. Avec le support de Solugaz et Canmar Transport, j’entrevoie un rallye plus confortable à plusieurs niveaux. Pour moi, c’est un nouveau Défi ! ».