Âgé de 26 ans, le pilote anglais Oliver Rowland est l’un des nombreux débutants qui évoluent cette saison en Formule E. Présent la semaine dernière au Salon de l’Auto de New York sur le kiosque Nissan, manufacturier qu’il représente dans la série avec l’équipe Nissan e.dams, il a répondu à nos questions. Une entrevue exclusive accordée à notre collaborateur Jacques Deshaies, qui permet de mieux comprendre les enjeux de la Formule E pour un pilote de monoplace comme lui, ancien champion de Formule Renault 2.0 en Angleterre puis de Formule Renault 3.5 internationale…
Oliver, tu as décroché durant la première moitié de saison ta première pole position et ton premier podium en Formule E. Avec 6 courses encore à disputer, quels sont désormais tes objectifs pour la seconde moitié de saison qui débute cette fin de semaine à Paris ?
Je suis arrivé dans l’équipe à la dernière minute, je n’ai pas eu beaucoup de temps dans la voiture avant la première course. Je ne savais pas trop à quoi m’attendre mais je m’étais donné comme but d’être dans le Top 5. Nous sommes à la mi-saison et bien loin de cet objectif. Je pense que c’est important pour le reste de la saison que je garde les pieds sur terre, que je continue à apprendre et à comprendre, ne pas devenir trop confiant, parce que c’est facile de devenir confiant avec la voiture et faire des erreurs. Je veux être constant et ramener des résultats. Dans mon for intérieur, c’est certain que je veux remporter des courses.
Piloter une Formule E, c’est différent des autres monoplaces ?
Oui car, comparativement à la Formule 1 où la voiture est ajustée par l’équipe à partir des puits, le pilote de Formule E gère seul tous les paramètres de la voiture pendant qu’il est en piste. C’est beaucoup plus complexe et ça demande beaucoup de concentration. On doit par exemple comprendre comment tous les systèmes fonctionnent. Sébastien Buemi est dans la série depuis la première année, il s’est développé avec l’équipe (qui représentait Renault avant Nissan) et elle, autour de lui. J’arrive dans la série 4 années plus tard et je dois comprendre et m’adapter aux systèmes qu’il a mis en place avec l’équipe. Ce n’est pas facile. Je ne suis pas encore aussi habile que lui pour arriver à faire fonctionner tout ça en même temps. Mais je ne peux pas me sentir découragé face à tout ça.
Par rapport à la seule course de Formule E que tu avais disputé par le passé, en 2015, as-tu trouvé que la série a beaucoup progressé en 4 saisons ?
Il y a une très grande différence. Les voitures sont beaucoup mieux, les freins particulièrement ont connu une très grande évolution. C’est le jour et la nuit avec les voitures d’ancienne génération. Je suis certain que pour les 5 prochaines années, les monoplaces de Formule E vont continuer à évoluer, peut-être pas autant que ce qui est arrivé en vue de cette saison 2018/19, mais je suis certain que ça va se développer et progresser encore.
Nissan débute en Formule E mais avec une équipe, DAMS, que tu connais bien puisque tu avais roulé pour eux en Formule 2, en 2017. Est-ce que cette connaissance de l’équipe et son personnel ont facilité ton apprentissage de la série ?
J’ai le même mécanicien que j’avais en Formule 2 et je connais tous les ingénieurs. De toute évidence, ça fait une différence, on se sent à l’aise toute de suite. Arriver comme ça, sans préparation, ça aurait été encore plus difficile si je n’avais connu personne, parce que les Français et les Anglais peuvent être très différents au travail. L’équipe est très efficace, les gars savent ce qu’ils font, ils sont toujours à l’avant-garde. J’ai eu de très bons rapports avec l’équipe en 2017, ils me faisaient confiance et c’est bien de revenir avec eux en Formule E. Je me sens bien supporté et ils me font confiance, ils connaissent mes habilités et me respectent.
Tu avais essentiellement piloté des monoplaces, des GT ou des prototypes LMP1 jusqu’ici. L’adaptation pour passer d’une voiture à essence à une voiture à moteur électrique a-t-elle été difficile ?
Oui et non. C’est différent, c’est certain. La voiture fait des sons différents mais a quelques comportements équivalents de ceux d’une voiture à essence. Avec cette voiture électrique de seconde génération, tout marche très bien. On peut adapter la voiture à son pilotage, au niveau de la répartition de la puissance, c’est vraiment intéressant. Je crois que cette version de la Formule E se rapproche de plus en plus du pilotage des voitures conventionnelles.
La présence de Nissan et d’autres manufacturiers, allemands notamment, en Formule E a donné beaucoup d’importance à la série. Penses-tu qu’à moyen terme ce type de série soit l’avenir du sport automobile ?
C’est très difficile à dire. La Formule E commence et la Formule 1 est en quelque sorte légèrement sur le déclin. La Formule 1 est une énorme entreprise, la Formule E grandit petit à petit. Qui sait ? Je ne vois pas pourquoi elle n’aurait pas un bel avenir. Quand on regarde les budgets en Formule 1, je trouve que c’est un gâchis. Il faut être au sein d’une équipe qui dispose d’un budget de 400 millions pour espérer être au sommet. En revanche, toutes les équipes de Formule E ont pratiquement le même budget et gèrent la manière de l’investir.
Quelle est l’ambiance entre les équipes, les pilotes en Formule E ?
Tout le monde s’entend très bien, c’est assez relax. L’atmosphère est vraiment, vraiment mieux que dans un paddock de Formule 1 !
Justement, on entend souvent dire que les pilotes qui n’ont pas de succès dans d’autres séries vont en Formule E, que c’est le cimetière pour les pilotes de Formule 1. Que penses-tu de ces affirmations ?
Il y a seulement 20 pilotes dans le monde qui réussissent à aller en Formule 1. De ce nombre, 10 payent pour être là. Mon opinion est que beaucoup ne sont pas en Formule 1 simplement parce qu’ils ne peuvent pas y entrer à cause de cette structure, le fait qu’il faut payer pour y accéder. En revanche, les gens savent que ceux qui sont en Formule E ont du talent et sont là parce qu’ils n’avaient pas le budget pour aller en Formule 1. Il n’y a aucun doute que si j’avais 10 millions, je serais en Formule 1.
Souhaites-tu que les moteurs électriques viennent un jour motoriser entièrement d’autres séries, comme des prototypes par exemple ?
Je crois que pour commencer, la Formule E doit développer une solide plateforme, s’assurer d’aller dans la bonne direction. Il faut attendre et voir comment ça va se passer, il n’y a pas de bonne réponse à ce moment-ci. Je pense que si l’on peut amener les voitures à un certain niveau, alors on pourra peut-être, d’ici quelques années, commencer à fournir d’autres séries avec cette technologie.